Ekaterina Anastassova

Le code ethnique du pouvoir en Bulgarie

En 2001, l’an premier du nouveau millénaire, la Bulgarie a attiré l’attention de la presse mondiale à deux occasions. Toutes les deux étaient semblables : les résultats des élections - parlementaires et présidentielles. Le 17 juin la Bulgarie a voté à forte majorité pour le mouvement de l’ex-monarque bulgare Simeon Saxe-Koburggotski et le mois suivant il est devenu premier-ministre; aux présidentielles, en novembre, on a élu toujours à majorité incontestable Gheorghi Parvanov, candidat du Parti Socialiste. Le vote de juin a rappelé le retour de Norodom Sianouk au Cambodge, et celui de novembre serait à l’origine d’un “cocktail” curieux - une administration monarchique-socialiste (communiste, d’après les critiques les plus extrémistes).

En fait, les événements ne sont peut-être bizarres qu’à première vue. Simeon n’est plus monarque depuis longtemps et déclarait à plusieurs fois ne pas avoir comme but la restauration de la monarchie en Bulgarie; et les socialistes au pouvoir en Europe ne font pas d’exception, cela n’étonne plus personne. La vraie question est : pourquoi a-t-on préféré à la classe politique locale un homme si éloigné du pays et de ses problèmes? Simeon, comme on sait, avait été obligé de quitter le pays en 1946, étant encore enfant, et s’était établi à Madrid depuis plus de trois décennies.

Je vais essayer d’y répondre par l’analyse du code ethnique, créant de signes distinctifs pour les hommes au pouvoir dans le pays. Les mots “Turc” et “Tsigane” y occupent une place centrale. L’article est basé à des recherches sur le terrain, menées pendant les douze années de transition difficiles.

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Le premier-ministre tsigane. J’ai été attirée par ce sujet au cours des études des préférences politiques dans les villes de Choumen et de Kaspitchan (Bulgarie du Nord-Est), menées en avril 2001 par le Centre de pratiques sociales à Sofia[1]. La partie essentielle de l’enquête portait sur les images des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, produites par les diverses communautés ethniques et les adhérents des partis politiques différents.

La population de la région de Choumen appartient à de divers groupes ethniques et religieux. Elle est habitée par des Bulgares, des Turcs et des Tsiganes musulmans de langue turque (“Tsiganes turcs”). Au moment où l’enquête avait lieu, le pouvoir local était dominé pour la plupart des communes de la région par les “bleus” (l’Union des Forces Démocratiques, UFD), qui avaient aussi la majorité dans l’Assemblée Nationale[2]. Ce qui m’a frappée, c’était que les personnages les plus importants des pouvoirs exécutif et législatif paraissaient être totalement inconnus, et surtout le fait qu’on se dérobait à prononcer le nom du premier-ministre Ivan Kostov. Le problème a été résolu lorsque j’ai appris que l’on l’appelait là-bas “le Tsigane”, “le petit Tsigane”, “Ivantcho le Tsigane”. Plus tard j’ai compris que cet avis de l’origine ethnique de Kostov était répandu dans tout le pays et était partagé non seulement par des personnes à niveau d’éducation bas ou marginalisées, mais aussi par les couches instruites, ainsi que par les Tsiganes eux-mêmes (notamment, par divers groupes de Tsiganes chrétiens).

Les caractéristiques des personnes les plus éminentes de la majorité, formulées par les couches sociales peu éduquées, par exemple les conducteurs de taxi, peuvent être résumées ainsi : “Que veux-tu que devienne ce pays? Le premier-ministre est Tsigane, le président du parlement - pédéraste, la fraction majoritaire au parlement est dirigé par une vieille fille et le ministre des affaires étrangères est une prostituée … Comment les choses pourraient s’arranger?”[3]

Curieusement, les milieux scientifiques en Bulgarie, bien que plus tolérants envers la vie privée des participants au pouvoir, se sont avérés eux-aussi très bien “informés” sur l’origine ethnique du premier-ministre. Leurs “renseignements” étaient plus “précis” et “se fondaient” sur l’anthropologie physique : “Ivan Kostov est Tsigane. On s’en rend compte facilement : il suffit de voir ses lèvres. Elles sont mauves et retournées, c’est un indice très sûr. Vois encore ses yeux - il a de cercles noirs tout autour. Et il regarde méchamment, il a l’air macabre … (Le président de la République, lui-aussi, est probablement Tsigane : vois sa bouche. Un vrai ‘mangal’[4].)[5] “Je connais sa biographie. Il est de Dragalevtsi [quartier de Sofia][6], mais, en fait, dans son enfance il a vécu au quartier tsigane de Sliven. Il y a du tsigane dans son sang, ça se voit”[7]. D’autres ajoutent plus de détails : il est fils adoptif; il est le cadet des trois fils d’une célèbre famille tsigane de Plovdiv; il est Tsigane de Dragoman, etc.

Il est important que des “biographies tsiganes” de l’ex-premier ministre, formant un type à part, sont rapportées par les Tsiganes chrétiens, eux-mêmes : “Il est Tsigane et ma tante possède même une photo de son enfance. Il est des nôtres (Tsiganes Lingurari). Etant enfant, il est parti avec son père à Sofia. Le père y a épousé une Tsigane sofiote. Il l’a fait faire ses études, il est devenu un homme instruit. Il s’est marié à Dragalevtsi et depuis il habite à Sofia.”[8]; “Il est des nôtres, des Tsiganes “serbes”. Ses parents ont été riches. Son père était commerçant et ils ont vécu à Plovdiv. Puis il a fait ses études à Sofia et a épousé Elena.”, etc.

Non moins intéressante, bien que plus rare, l’argumentation des défenseurs de Kostov. Ils rejettent la “version tsigane” et objectent contre les “preuves anthropologiques” : “Il ne peut être Tsigane, parce qu’il est très intelligent”.

Les représentations générales bulgares sur les Tsiganes, qui concordent avec celles répandues en Europe Centrale et Orientale, nous aideront de mieux comprendre le sens des observations citées ci-dessus. La Russie fait l’exception de la région : un aïeul Tsigane présumé y apporte beaucoup de prestige. L’origine tsigane suppose de l’exotisme, singularité, du talent. D’habitude, le Tsigane est décrit ainsi : “les Tsiganes sont toujours couverts de bijoux en or, habillés en vêtements de couleurs vives, ils chantent et dansent, ils sont comblés de dons. Ce sont des gens aux passions ardentes et aux sentiments intenses… Voilà pourquoi Pouchkine a écrit le poème “Tsiganes” sans parler de la célèbre “Carmen” de P. Mérimée, dont G. Bizet s’est inspiré pour composer son opéra. Ce n’est qu’en Bulgarie que l’on croient les Tsiganes sales, voleurs et menteurs”[9].

Assurément, l’image des Tsiganes qui les situe autour du pôle des représentations négatives, n’est pas strictement bulgare. Elle s’est formé en des conditions bien différentes de celles en Russie. La perception de la communauté tsigane passe par trois étapes historiques : traditionnelle, de la Renaissance nationale[10] et moderne, d’après la périodisation proposée par E. Maruchiyakova et V. Popov[11].

Au cours de la première période, qui précède la Renaissance nationale, les Tsiganes sont inscrits avec succès dans la culture traditionnelle bulgare et occupent leur place dans le modèle général du monde, surtout à travers ses réalisations rituelles (croyances et imaginaire traditionnels - personnages carnavalesques, le rôle joué par le Tsigane-forgeron au cours de certaines pratiques magiques, etc.). Les Tsiganes ne peuvent pas être séparés de la société bulgare et jouent leur propre rôle à la culture populaire traditionnelle bulgare, surtout en tant que détenteurs des caractéristiques ambiguës de “l’étranger” nécessaires à la création du “soi”.

Avec la Renaissance nationale, liée au nationalisme moderne et l’élaboration de l’idée nationale bulgare un certain dédain se manifeste à l’égard des Tsiganes : ils n’ont pas d’idée nationale à opposer aux Bulgares. Pendant la même période apparaît l’idée d’assimilation et des tendances ont commencé à se faire jour qui ont amené aux premières christianisations forcées, qui se succéderont après la libération. C’est pendant cette période que s’établit d’une manière stable la conception des Tsiganes en tant que partie intégrante de la nation bulgare, mais qui a sa place particulière au sein du système de catégories et valeurs. Les Tsiganes sont toujours perçus (comme pendant la période de la culture traditionnelle) en tant qu’un tout collectif au statut de catégorie déterminé, mais présentant déjà de novelles dimensions axiologiques : ils désignent aux yeux du Bulgare moyen quelque chose d’inégal et d’inférieur (italiques ici et ci-dessous de E. A.). De plus, cette inégalité est d’un autre ordre par rapport aux autres communautés ethniques : bien que “étrangères”, elles sont comparables aux Bulgares, tendis que les Tsiganes constituent une communauté d‘ordre différent que l’on définit a priori comme inférieure et incomparable aux Bulgares (Ce rapport envers les Tsiganes devient rapidement modèle de comportement social, perçu comme donné une fois pour toutes. Ces idées influencent sur le sens de l’ethnonyme, dont la société ambiante désigne les Tsiganes : le mot “Tsiganin” (‘Tsigane’, mais aussi “menteur, vaurien”) ou la locution “tsiganska rabota” (‘oeuvre de Tsigane’) en bulgare expriment moins la caractéristique ethnique que la dépréciation.”[12] Cette conception persiste encore lors de la période à partir de la libération (1878) jusqu’à la Deuxième guerre mondiale.

Sous le régime socialiste des efforts ont été faits à améliorer les niveaux de vie et d’éducation de la population tsigane. Une élite instruite tsigane, bien que peu nombreuse, s’est constituée. Mais la conception de nation bulgare monoethnique et la politique d’assimilation qui en résultait, n’ont pas transformé le modèle de comportement social envers les Tsiganes. Ils ont disparu de l’espace social, de la presse, des média et même des sciences humaines. Le “problème tsigane” est perçu toujours dans le cadre du modèle, élaboré pendant la Renaissance nationale.

Après 1989, lors de la démocratisation du système politique en Bulgarie, le modèle “national” maintient sa position dominante dans l’esprit des masses. On y ajoute “le sentiment que la nation bulgare est actuellement en danger ou son avenir est menacé. (…) … des représentations générales se sont imposées : des Tsiganes comme danger démographique, des Tsiganes qui s’assimilent aux Turcs, de la “tsiganisation” de la culture bulgare (…) des “Tsiganes -criminels”[13].

Le phénomène décrit ci-dessus, qui pourrait être appelé sous condition “tsiganisation” du pouvoir, s’inscrit dans ce contexte. Ivan Kostov n’est ni le premier, ni le seul des hommes ayant occupé les postes supérieurs de l’administration, qui ait été imaginé en tant que Tsigane. (D’autre part, pour montrer les traits caractéristiques des personnes au pouvoir on utilise aussi d’autres codes. Le chauffeur de taxi de l’exemple cité, en décrivant les politiques suit l’échelle des valeurs familiales traditionnelles bulgares, qui rejettent absolument tout écart de l’alliance hétérosexuelle habituelle. Il s’en suit le refus d’admettre l’homosexualité, le célibat, l’amour libre ou payant, etc.) Et il s’avèrera que la nationalité étrangère imaginée des leaders politiques bulgares se déplace avec le temps des nationalités relativement “équivalentes” aux communautés ethniques, perçues par les masses comme “irrémédiablement non-équivalentes”.

D’autres leaders “Tsiganes”. Le gouvernement le plus long de l’histoire moderne de Bulgarie appartient à Todor Jivkov, premier-ministre à partir de 1956, il reste l’homme le plus puissant jusqu’à son élimination en 1989. Suivant la règle du “camp socialiste” il détenait simultanément les postes supérieurs du parti et du pouvoir exécutif de l’Etat (secrétaire général du Parti communiste bulgare, premier-ministre et président du Conseil d’Etat). Critiqué cruellement (mais en cachette) à l’époque de son gouvernement et le lendemain de sa déposition (déjà au grand jour), plus tard à l’encontre des difficultés de la transition qui ont inspiré une vue nostalgique du régime socialiste comme une époque de vie sans souci, Jivkov est devenu pour de nombreux Bulgares un personnage légendaire ayant dirigé le pays avec succès pendant 34 ans. (Aussi des milliers de gens ont-ils assisté à ses funérailles, malgré qu’elles se soient passées des honneurs dues à un chef d’Etat. Un monument a été inauguré dans sa ville natale en septembre 2001 à l’occasion de son 90 anniversaire, cette fois-là avec des honneurs militaires.)

Le chercheur de l’Institut de la langue bulgare prof. Todor Balkanski, d’origine aroumaine[14], a consacré toute une monographie à l’origine non-bulgare de T. Jivkov. “La société valaque est particulièrement émue par le fait que le dernier dictateur communiste en Bulgarie est de sang valaque. On cite de renseignements fiables, (…) que lorsqu’il visitait Pravets (sa ville natale - E. A.) avec sa suite du parti, la mère du dictateur - Marutsa - lui parlait en valaque. (…) Voilà quelques réponses aux questions à propos du sang valaque dans les veines de Todor Jivkov, Zamfirkyov d’après le surnom de sa souche. (…) Le nom de la mère Marutsa est un anthroponyme de forme valaque, cf. roum. Maruţa, Danuţa, Jeluţa, etc. (…) Ses parents sont des Valaques de Somovit. (…) La langue maternelle de Marutsa et de sa soeur était le roumain. Le père de Todor - Hristo Jivkov - tire son origine des Krastenyatsi - Tsiganes Tchukatchi, baptisés en 1878. On suppose qu’ils étaient des Valaques Rudari (‘mineurs’) (…) Leur surnom valaque (de Rudari) Zamfirkyovtsi (dans la région de Teteven “zamfirkyo” signifie “Tsigane”) est toujours courant.”[15]

La situation des Valaques (et des Tsiganes “valaques”, c.-à.-d. les Tsiganes de langue roumaine tant qu’ils sont parfois difficilement identifiables pour l’observateur externe[16]) est bien différente de celle des Tsiganes. Les Valaques sont considérés par les Bulgares comme étant ambitieux, laborieux, entreprenants et toujours prospérants. Ils sont comparables aux Bulgares, ils “ne se distinguent nullement des Bulgares”. En d’autres termes, les Valaques sont très proches des Bulgares à l’échelle des catégories ethniques. Ils sont entièrement intégrés à la société ambiante et même sont connus comme ayant une autoidentification “plus bulgare” que celle des Bulgares, eux-mêmes. Le plus souvent les Valaques se présentent ainsi : “Nous sommes des Valaques-Bulgares”. “Le Bulgare-Valaque est le plus intelligent, le meilleur Bulgare”. Leur autoidentification est constituée toujours de deux éléments, dont la nationalité précède l’ethnicité[17].

La version de l’origine valaque de T. Jivkov est répandue parmi les Aroumains et la communauté en tire une raison de fierté. Voilà le commentaire (non-public) d’un Valaque, fait en présence d’experts des minorités ethniques en Bulgarie, à propos d’un rapport, selon lequel le thème de “l’Etat valaque” ne serait pas de l’ordre du jour pour la communauté valaque après les réformes démocratiques au pays : “Un Etat, ça servirait à quoi? Todor Jivkov a gouverné la Bulgarie cinquante [!] ans et tout le monde sait qu’il était Valaque!”[18]

De la sorte, T. Jivkov est compté parmi les leaders politiques ethniquement étrangers, sans que ce soit perçu en tant que péjoratif, honteux ou humiliant por la nation bulgare. Cette version de l’origine de T. Jivkov est considérée plutôt comme curieuse et amusante. (Les Bulgares préfèrent de le qualifier de “paysan rusé”, ce qui le met dans le contexte de l’opposition paysan/citadin, typique de la période du régime socialiste)[19].

Un autre leader politique, vu à travers le prisme réfractant de l’altérité ethnique, c’est le premier président de la République le docteur en philosophie Jelyu Jelev. Le mythe de son origine turque est né lors des débats avec le candidat de la gauche Velko Valkanov. Jelev défendait énergiquement la légitimité du MDL, fondé par Ahmed Dogan. (La formation du MDL en 1990 a provoqué une certaine résistance au sein de la société bulgare, qui craignait les “Turcs” en général et leur participation au pouvoir encore plus.) La réplique de Valkanov : “N’es-tu pas Turc au fez sur la tête?” est resté dans la mémoire des masses comme démasquant l’origine ethnique de Jelev. Plus tard, en tant que président de la République il s’est déclaré pour la reconnaissance de l’indépendance de la République de Macédoine. La Bulgarie a été le premier Etat qui ait reconnue l’indépendance de la République ex-yougoslave de Macédoine, et le président Jelev a joué le rôle principal lors de la prise de cette décision, ce qui lui a amené les critiques de certains milieux nationalistes. Ceux et d’autres événements ont attribué de faire croire que le président Jelev ne défendait pas suffisamment les intérêts nationaux dont la raison serait son origine ethnique. Inutile de dire que l’authenticité des affirmations à propos de l’origine “étrangère” n’y jouait aucun rôle ni au cas de Jelev, ni aux cas de Kostov et de Jivkov.

Les représentations sur les Turcs sont formées surtout par l’historiographie. Quand même, les changements sociaux et économiques pendant la période socialiste - l’apparition d’une intelligentsia turque, le développement d‘agriculture et d’industrie modernes dans les régions, peuplées de Turcs, la formation d’une communauté “cultivée” et aisée - ont créé une image contradictoire des Turcs, la deuxième plus nombreuse (après les Tsiganes) minorité en Bulgarie. La décision de changement forcé des noms des Turcs (1984-1985) n’y est pas sans importance non plus, parce qu’elle a désuni de nombreux Bulgares de leur Etat (sans parler des Turcs, citoyens de la Bulgarie). “Les Turcs sont honnêtes, laborieux ; nombreux sont ceux parmi eux qui sont plus éduqués et plus riches que nous” sont les traits caractéristiques, cités le plus souvent par les Bulgares, cohabitant avec des populations turques. Mais dans les mêmes régions, où le plus souvent les Bulgares sont minoritaires, on peut entendre d‘autres réflexions aussi. Après avoir discrètement précisé “Vous êtes Bulgare, n’est-ce pas?”, il suit : “Ils m’aident beaucoup, je m’adresse à mes voisins Turcs à toute occasion. Mais ils sont dangereux - “ils échangent cheval pour poule”, si tu leur fais quelque chose de bon, ils te le rendront dix fois, ce n’est pas bien. Il faut toujours être sur ses gardes, ils cachent toujours un poignard en leur sein … “ Dans les régions, où il n’y a pas de population turque, les descriptions sont encore plus terrifiantes : “Moi, j’ai étudié les cruautés des Turcs - massacrer, pendre, tuer …Qui ou quoi a fait agir le Turc comme ça? Tant d’années se sont écoulées depuis, mais le Turc n’a pas changé … Qui sont les malfaiteurs les plus grands, les terroristes, les assassins? La nation turque est arriérée et farouche …”[20] On voit ainsi se détacher le modèle de l’imaginaire ethnique, surchargé d’histoire, et qui est autant plus négatif qu’il est plus éloigné des membres de la communauté turque en chair et en os, c.-à.-d. lorsqu’il est formé à la base des clichés de l’historiographie, caractéristiques de la science historique bulgare et balkanique de la période avant les années 90 du XX siècle.

Le roi Bulgare. Alors, comment l’élection de Simeon Saxe-Koburggotski pour premier-ministre a-t-elle été possible sur le fond de défiance et de prétentions nationales envers l’origine ethnique des leaders?

Je m’arrêterai surtout à deux des réponses.[21] Selon la première, il serait pensé Allemand, c.-à-d. “Européen”, donc le “bon étranger” dans le contexte de l’intégration à l’Europe rêvée. Il faut noter que l’interprétation de l’histoire bulgare telle qu’elle est enseignée à l’école, suggère l’idée que si la Bulgarie n’avait pas été sous la domination ottomane, mais avait fait partie d’un autre empire - autrichien ou allemand - , elle aurait eu un destin tout à fait différent, “heureux” (européen).

La deuxième réponse serait peut-être inattendue, mais, en fait, elle est assez logique. Simeon a été perçu comme étant un vrai Bulgare, héritier des glorieux souverains du Premier Empire Bulgare - Boris et Simeon. J’ai entendu cette théorie pour la première fois à la radio, lancée par des auditeurs. Plus tard, elle a été prouvée “officiellement” par l’historien populaire prof. Bojidar Dimitrov, directeur du Musée historique national, dans son article “La race de Simeon II en Europe” : “Un des arguments les plus fréquents dans les lettres des lecteurs, qui s’opposent à la participation de Simeon II à la vie politique de la Patrie, c’est qu’il n’aurait pas de sang bulgare dans ses veines. Si le problème est là, tout le monde peut dormir tranquille.

La famille aristocratique des Koburg est liée par sang à presque toutes les grandes familles aristocratiques européennes, qui à leur tour se sont alliées pendant les XII-XV siècles à toutes les grandes familles de l’aristocratie byzantine.

Mais d’autre part toutes les grandes familles byzantines s’étaient déjà alliées au cours des XI-XV siècles avec les familles de l’aristocratie bulgare. De plus, toutes les familles royales bulgares, qui ont perdu d‘une raison ou d’autre le pouvoir, se sont établies à Byzance, se sont assimilées aux Grecs et leur descendance à travers les alliances avec des représentants des dynasties impériales ont répandu le sang bulgare en toute l’Europe aristocratique.” Et encore : “La fille du roi Ivan Vladislav (1015-1018) a épousé un homme de la famille Comnène, qui a donné un tas d’empereurs byzantins au cours d’un siècle et demi. Sa petite-fille - Anne Comnène, célèbre par ses ouvrages, écrivait que la Bulgare avait été très belle et avouait que grâce à elle les figures disgracieuses des membres de la famille se sont embellies. (…) Donc les auteurs des généalogies, publiées dans les éditions monarchiques, ne mentent presque pas en indiquant les ancêtres de Simeon II jusqu’à khan Kubrat[22] et la dynastie Dulo. (…) Il est sans importance si dans les veines de Simeon il n’a que quelques gouttes ou tout un litre de sang bulgare. Non seulement parce que la nation est une catégorie historique et non pas biologique, même d’après l’historiographie marxiste. (…) Simeon est Bulgare, parce qu’il est né en Bulgarie, son père est né en Bulgarie, il est citoyen bulgare et il parle bulgare.”[23]

De la sorte l’origine bulgare du roi n’a pas été reconnu que par le peuple bulgare, mais par la science bulgare aussi. (Donc, les investigations de la conscience collective populaire et celles des milieux scientifiques dans le domaine de “la nationalité des gouvernants” vont souvent de pair.) Laissant de côté les hésitations, la Bulgarie a embrassé les slogans encourageants de “Honnêteté totale” et de “Le temps nouveau arrive”. Le vote a donné à la coalition “Mouvement national “Simeon II” de l’ex-monarque la moitié des places à l’Assemblée nationale. Un mois plus tard Simeon Saxe-Koburggotski est devenu premier-ministre de la Bulgarie.

La schizophrénie d’une nation? Ou bien à la recherche des coupables de l’échec du gouvernement qui ont fait pénible la transition bulgare vers la démocratie. Les exemples et les discussions, cités ci-dessus, illustrant l’interrogation paradoxale de la société sur l’ethnicité de ses leaders politiques, peuvent être mis en parallèle avec la situation hypothétique, décrite par E. Gellner, qui cite d’abord l’éloquent E. Kedourie : “Le seul critère qui puisse être défendu par la société, c’est si les nouveaux gouvernants sont moins corrompus et cupides, c.-à.-d., plus justes et plus miséricordieux, ou bien il n’y a aucun changement, mais simplement la corruption, la cupidité et la tyrannie trouvent d’autres victimes, qui viennent remplacer celles des gouvernants précédents” .

La question, posée de manière si éloquente par le prof. Kedourie, est en fait celle que se posait un esnaf d’une société agraire, quand le pacha du lieu avait été renvoyé et remplacé par une personne tout à fait inconnue. Et si à ce momemt-là son épouse avait osé de lui demander en quelle langue parlait le nouveau pacha en famille - en arabe, en turc, en persan ou en anglais, le pauvre bonhomme se serait fâché, vu les ennuis envisagés, auxquels se serait ajouté la folie de sa femme. Et il l’aurait très probablement envoyée dans un asile d’aliénés”[24].

L‘idée de la folie de la nation bulgare, suggérée par cet exemple, serait acceptée volontiers par de nombreux critiques des résultats électoraux en Bulgarie. [Un des plus actifs était le “bleu chaman” Evgheniy Daynov, maintenant de relations très proches avec le cabinet précédent (qui, évidemment, était aussi fortement déçu du “vote erroné” des Bulgares). Maintes fois il a noté qu’”en une nuit la société bulgare s’est transformée en peuple. La société civile s’est transformée en peuple”, ainsi que : “ Ce qui est arrivé, c’est quelque chose qu’on n’a pas vu depuis très longtemps. Le peuple en tant que sujet unitaire a trouvé son roi. Et le roi a trouvé son peuple. C’est une structure médiévale, ceci n’est pas arrivé depuis plusieurs siècles. (…) Le peuple et le roi se sont retrouvés, il s’est créé entre eux un axe d’énergie et une autre réalité tourne autour de cet axe. Le monde médiéval et ses règles se reconstituent. Les rapports logiques et de cause à effet y sont progressivement écartés par de rapports magiques.”[25] Pourtant l’opposition société civile/peuple, où la deuxième notion porte de connotations négatives (!), ainsi que la mise en parallèle avec le Moyen Age reposent sur des motifs tout à fait différents. Le vote est traité de surnaturel, énigmatique et inexplicable ce qui n’aide point l’analyse du phénomène.]

Evidemment, il y a eu bien d’autres commentaires : le vote a été défini de “anti-Kostov”, de “vote de proteste” et même “vote de proteste des minorités”. Il a été considéré aussi en tant que “grande révolution conservative”, “vote de la raison”, “le premier cabinet, dont les ministres étaient riches avant de prendre le pouvoir”, etc. Toutes ces analyses ne semblent pas privées d’arguments. Mais en tenant compte de ce qui a été dit ci-dessus, il est possible de de tirer d’autres conclusions aussi.

L’analyse des exemples cités montre qu’ils reflètent deux tendances différentes, mais liées l’une à l’autre.

1. “Revanche” des communautés ethniques minoritaires en Bulgarie[26] (en tant qu’un des aspects du processus complexe d’évolution des minorités en Bulgarie), qui tendent à se créer une nouvelle place dans la société bulgare, y compris en participant au pouvoir. Dans le cas analysé, par une attitude paradoxale - en s’appropriant de figures politiques importantes.

2. Détachement des Bulgares du gouvernement en se servant de termes ethniques (plutôt de clichés ethniques) pour le qualifier. Ces qualifications reposent à des idées stéréotypées dépréciant les minorités ethniques (quelque chose comme de nomina odiosa ethniques). Ces idées sont projetées sur les leaders politiques et la sémantique du cliché ethnique dépasse la sphère sociale et recouvre aussi la politique. De la sorte les catégories ethniques sont transformées en termes politiques, qui occupent, paraît-il, une place importante dans la conscience collective bulgare.

La première tendance résulte en l’image de T. Jivkov en tant que Tsigane-Valaque. Elle est produite par une petite communauté ethnique, à propos de laquelle un ethnologue bulgare note que “ les années 90 sont l’époque de la manifestation - combien nous sommes différents, combien nous sommes exceptionnels - en omettant les traits communs. Le processus est observable chez les grands groupes, ainsi que chez les petits, récemment encore presque inconnus par le public non-spécialisé (par exemple, les Aroumains) ou dont il ne veut même pas savoir [mise en italiques de E. A.].”[27] Une communauté qui a commencé à rappeler de son existence à partir de 1990 en créant ses organisations, sa langue littéraire, sa littérature et aussi - ses “grandes figures”, ayant influencé les pays, habités par la communauté transnationale. Cette élite n’est pas composée que de politiques et intellectuels bulgares, mais inclut aussi de personnes éminentes roumaines et macédoniennes. Les biographies tsiganes de Ivan Kostov, créées par les diverses communautés tsiganes représentent un cas similaire. La communauté minoritaire la plus nombreuse en Bulgarie est aussi la moins intégrée à cause du bas niveau d’instruction et de la faible qualification professionnelle (et pour d’autres raisons aussi). J’ai déjà noté que l’imaginaire et le modèle social et ethnique se rapportant aux Tsiganes sont chargés de négation. La communauté se réhabilite en s’appropriant le premier-ministre “du cabinet démocratique le plus réussi de Bulgarie”.

Le sujet “Jivkov est Tsigane-Valaque” est inconnu par 99 % des Bulgares et il les laisse indifférents. Tout autre est le cas de Kostov.

Si l’on cherchait quelque raison (sauf la “version anthropologique”) de la perception de l’ex-premier-ministre comme “Tsigane”, une des réponses possibles serait donnée par le sens social (inséparable de l’ethnique en ce cas-là) de l’ethnonyme. Le sens de “criminel”, contenu dans le mot “Tsigane” correspond aux éstimations prédominantes de l’activité du cabinet d’Ivan Kostov. De la sorte les connotations ethniques et sociales se recouvrent, en créant un cliché politique à “l’histoire ethnique”. D’autre part, on dirait que le sujet “Kostov - Tsigane” met en scène la réalisation d’un des plus grands cauchemars bulgares, inspiré par la crise démographique de la décennie dernière[28]. “Quand les Tsiganes deviendront plus nombreux des Bulgares, ils vont nous gouverner” (Cf. l’anecdote : “Un enfant tsigane demande à son père : “ Papa, pourquoi le soleil se lève-t-il? Pourquoi y a-t-il jour et nuit?” Le père se tait. Enfin la mère se fâche et dit: “Laisse ton père tranquille! Tais-toi!” Le père la réprimande : “L’enfant doit poser des questions. Il doit s’instruire. Comme les Bulgares sont en train de disparaître, bientôt ce sera à nous autres Tsiganes de gouverner cet Etat.”). Le cas “Jelev - Turc” appartient au même type de représentations. Il reflète l’autre grande menace pour les Bulgares - les Turcs (la deuxième par son nombre minorité en Bulgarie). Ils sont perçus non seulement comme danger démographique, mais sont aussi imaginés comme “espions” de la Turquie, l’Etat voisin qui par tradition est considéré en tant qu’”agresseur” potentiel, prétendant au territoire bulgare. Les deux images résultent donc du sentiment de danger et des appréhensions, dont est peuplé l’avenir (conspirations prétendues, ennemis intérieurs et extérieurs, supposés coupables de la transition “ratée”). Ces sentiments sont provoqués par la transition à la démocratie dure, dite souvent “interminable”. La démocratie comme but paraît assez vague, confuse, parfois pas suffisamment désirée. La vision initiale de la démocratie comme panacée a cédé la place aux difficultés réelles auxquelles est confronté l’individu dans la société de concurrence libre.

Mais ce qui importe vraiment et se fait voir par l’interrogation même de l’ethnicité des leaders de l’Etat, c’est que les Bulgares ne s’identifient pas à leur gouvernement. Il leur semble étranger et hostile au point d’être classé au moyen des catégories les plus outrageuses possibles. (Malheureusement, “Tsigane” en est la plus universelle, unissant presque tous les sens négatifs, que les Bulgares attribuent au gouvernement.) L’opposition peuple-gouvernement est si intense que l’Etat et la nation ne sont plus considérés comme une entité. Les Bulgares ne s’identifient pas qu’à leur gouvernement, mais à leur Etat non plus, qualifié très souvent de “tsigane”. (Je laisserai de côté l’interrogation si une telle attitude est justifiable, vu le contraste entre le chômage et le taux de la criminalité croissant sans cesse, la crise économique profonde d‘une part, et les logements luxueux de ceux qui ont disposé de un pouvoir quelconque, la quantité d’automobiles fastueuses, etc., d’autre part).

Cette situation paradoxale peut être expliquée sans recourir à la “transition difficile”. A cause de circonstances historiques la Bulgarie a été politiquement indépendante pendant de périodes relativement courtes. L’Etat a été fondé en 681; de 1018 à 1186 le pays se trouvait sous la domination byzantine; de 1396 à 1878 - sous la domination ottomane; à partir de 1946 la Bulgarie a été transformée en satellite de l’URSS, pratiquement privé du droit de prendre de décisions politiques indépendantes. Je ne me lancerai pas à la discussion si ce sont les circonstances historiques qui forment le caractère national ou bien, à l’inverse, le caractère national prédétermine le destin de la communauté. Ce qui importe, c’est que finalement, en niant son Etat et son gouvernement le Bulgare nie soi-même. Il nie aussi “l’idée nationale”, née pendant la Renaissance nationale, et vivant actuellement une crise profonde. C’est une crise de l’ethnicité qui s’exprime en nihilisme national, accompagnée de décadence économique et morale, chargée de mauvaises prémonitions. Elles suscitent la recherche de quelque facteur étranger, hostile, menaçant, puissant, qui serait coupable de tous les malheurs. Trouver ce facteur dans l’altérité ethnique est un mécanisme connu, d’habitude employé par les nationalismes afin de mobiliser et affermir les communautés. Par contre, actuellement en Bulgarie ce mécanisme se met en fonction dans une situation insolite - contre son propre gouvernement, contre son propre Etat, contre sa propre nation. Un nationalisme contre soi-même, “vêtu” de code ethnique, conséquence de la concentration du pouvoir[29] entre les mains d’élites politiques, qui ont suscité au peuple le sentiment de déficience et d’impuissance, en transformant d’une manière absurde la notion de “peuple” elle-même (et les gens qu’elle englobe) en terme péjoratif.

Il n’est donc guère étonnant que Simeon, “le Bulgare-Européen”, s’appliquant à créer un dialogue entre le peuple et le pouvoir, élu à majorité importante, a été rapidement converti en “Tsigane de Madrid”. Le nouveau président de la République, à son tour , a été salué par des “patriotes émus” dans un des quotidiens de la capitale : “Edifions, camarades, la société communiste-tsigane de notre Etat dans les champs morts de Sibérie! Le président de la République est paysan, dont le père est Tsigane et la mère - Bulgare. Le vice-président - bâtard au père inconnu. Bonne chance au XXI siècle - communistes, komsomoltsi[30] pioneri[31], Tsiganes, Turcs! Personne n’a cure de la Bulgarie!”[32] On y retrouve presque tous les notions les plus “répugnantes” (communistes, komsomoltsi, pioneri, Sibérie - les symboles les plus frappants du régime communiste; paysan, bâtard, Tsigane, Turc), devenues des clichés outrageux, qui reflètent aussi les angoisses les plus fortes, dominant la Bulgarie ces dernières années.

Quand même, on peut se consoler qu’une part importante de la population se préoccupe plus des qualités du cabinet, de son activité réelle, des changements espérés. Mais je ne peux pas oublier l’interrogation d’une journaliste au nouveau ministre Solomon Pasi : “Comment développerions-nous les relations avec les pays arabes, si notre ministre des affaires étrangères est Juif?”, ni les questions, qu’on ne cesse pas de poser à Simeon : “Pourquoi vos enfants ne parlent-ils pas bulgare?” Je crains qu’on ne continue de se poser ce genre de questions. Le genre de questions qui aurait fait penser le bonhomme, imaginé par Gellner, d’envoyer son épouse à l’asile d‘aliénés.

  1. De pareils études ont été menées à partir de 1992 sous le titre de “Images culturelles de l’action politique”. Elles ont été entreprises tout d’abord par le Centre de stratégies libérales avec l’aide financière de la Fondation “Friedrich-Naumann-Stifftung” pour être poursuivies par le Centre de pratiques sociales, dirigé par les “chamans bleus” (les politologues de l’Union des Forces Démocratiques, UFD) V. Garnizov et E. Daynov. Petit à petit elles se sont transformées en des sondages de l’opinion publique électoraux.
  2. La vie politique en Bulgarie au cours des 12 dernières années a été marquée par la concurrence et les affrontements entre le parti ex-communiste (nommé dorénavant Parti Socialiste Bulgare, PSB), dont la couleur traditionnelle était le rouge, et les démocrates (Union des Forces Démocratiques), qui ont choisi le bleu. Leur opposition dans la vie politique et sociale, définie comme “modèle bipolaire”, a provoqué une division extrême au sein de la société. La nation était divisée en “bleus” (représentés au début surtout par de jeunes gens) et en “rouges” (les générations plus âgées). Les antagonismes violents du début des années 90 (qui se manifestaient parfois par de scandales acharnés, des conflits au sein des familles, plus rarement par des bagarres et même des coups de feu) ont petit à petit cédé place à l’apathie politique. Significatifs sont les slogans des protestes en 1997 (quand le gouvernement “rouge” avait amené le pays à la catastrophe économique totale : hyperinflation, revenu moyen de $ 10 par mois), par ex. : ”ordures rouges”, “mafia rouge”, “auparavant et maintenant PSB est mafia”, plus tard remplacés par le “brouillard bleu”, “la mafia de Kostov” etc. Le rôle de “centre” politique en cette situation a été joué par le Mouvement de droits et libertés (MDL), dirigé par Ahmed Dogan et qui réunissait le vote de la plupart des Turcs en Bulgarie, ainsi qu’une certaine partie des autres groupes musulmans. A cause du refus de l’idée que les “Turcs” puissent gouverner le pays, MDL ne participe au pouvoir exécutif central qu’à partir de 2001 avec l’arrrivée du gouvernement présidé par Simeon Saxe-Koburggotski. L’antagonisme “bleu-rouge”, qui avait amené la division de la société, ainsi que l’alternance des gouvernements des deux partis le lendemain de chaque désenchantement, a été une des raisons de l’accueil enthousiaste d’une neuve classe politique, indépendante des deux “mastodontes” politiques qui en fin de compte ont mené ensemble le pays vers l’appauvrissement extrême. Une certaine importance ont aussi eu la fatigue de la haine et des irrédentismes réciproques des deux partis qui tout en se déclarant être de la gauche ou de la droite, ne possèdent pas leur propres programmes sociaux, qui se différencieraient nettement l’un de l’autre, et ne sont pas formés à la base de couches sociales bien définies. Tous les deux, l’UFD et le PSB ont adopté vers la fin des années 90 les mêmes priorités : intégration à l’Union Européenne et à l’OTAN, amélioration du niveau de vie, etc. D’autre part, les deux partis n’ont pas su présenter à la société les valeurs qui se substitueraient à l’idéologie communiste écroulée. Si le socialisme promettait pour l’avenir le paradis de l’égalité sociale absolue, la période de transition vers la démocratie n’a produit aucune plate-forme idéologique ou axiologique convaincante. La politique des deux partis a été interprétée ainsi: “Les uns et les autres ils ne veulent que prendre le pouvoir et piller. Ils ne se querellent pas entre eux, mais ils opposent les gens entre eux, afin de gouverner sans contrôle”. - K. I., Bulgare, née en 1950 à Sandanski, commerçante, interviewée le 15. 04. 2001 par E. Anastassova (désormais E. A.).Voilà une brève liste chronologique des cabinets, qui se sont succédés en Bulgarie depuis les premières élections libres en 1990 : deux cabinets des ex-communistes, A. Loukanov en tête en 1990; le cabinet “bleu-rouge” de D. Popov - en 1990-1991; les démocrates gouvernent de 1991 à 1992 - le cabinet de F. Dimitrov; suivent deux cabinets “neutres”, prof. L. Berov (1993-1994) et R. Indjova (1994) en tête; le cabinet socialiste de J. Videnov était au pouvoir de 1995 et a démissionné à la fin de 1996; après les protestes de l’hiver de 1997, le cabinet transitoire de St. Sofiyanski et les élections qui ont apporté la majorité absolue aux démocrates, ils ont formé le cabinet de I. Kostov, le premier qui n’ait pas été forcé de démissionner avant le terme légal.
  3. M. P., Bulgare, 56 ans, né à Pernik, conducteur de taxi, interviewé le 25. 05. 2001 par E. A. à Sofia.
  4. Terme péjoratif pour ‘Tsigane’.
  5. A. Ya. Bulgare, 67 ans, née à Vidin, philologue, interviewée le 25. 07. 2001 par E. A. à Sofia.
  6. En réalité, c’est l’épouse de Kostov qui est née à Dragalevtsi.
  7. V. K., Bulgare, 43 ans, né à Sofia, enseignant en histoire, interviewé le 03. 08. 2001 par E. A. à Sofia. Sur les Tsiganes de Sliven, v. : Gheorghieva, I. Izsledvane varhu bita I kulturata na balgarskite tsigani v Sliven (Etude sur le mode de vie et la culture des Tsiganes bulgares à Sliven). – Izvestiya na Etnografskiyainstitut s muzey, 1966, t. IX.
  8. N. N., Tsigane chrétien, 26 ans, né à Bourgas, étudiant à l’Université libre de Bourgas, interviewé le 15. 06. 2001 par E. A. à Sofia.
  9. G. A., Russe, né à Grozni, Tchétchénie (à présent Itchkéria), philologue, interviewée le 20. 08. 2001 par E. A. à Sofia.
  10. La Renaissance nationale, ‘Vazrajdane’ en bulgare, est la période de formation de la nation bulgare, liée étroitement aussi aux idées des Lumières. Elle commence vers le milieu du XVIIIème siècle et se termine avec la fin des luttes de libération à la veille de la Première guerre mondiale.
  11. Maruchiyakova, E., V. Popov. Tsiganite v Balgariya (Les Tsiganes en Bulgarie). Klub-90, Sofia, 1993, pp. 209-218.
  12. Ibid., pp. 212-213.
  13. Ibid., p. 215.
  14. Il y a deux communautés “valaques” en Bulgarie : les Valaques “Timotchani”, habitant le littoral du Danube et les Valaques Aroumains “Armâni” ou “vlasi-matchedonyani), habitant quelques zones montagneuses. L’origine et l’histoire des deux communautés sont différentes. Voir Anastassova, E. Les Valaques en Bulgarie (Ethnicité et nation). - Etudes et documents balkaniques et méditerranéens, Vol. 23, 2001, pp. 11-18.
  15. Balkanski, T., D. Andrey. Golemite vlasi sred balgarite (Les Grands Valaques parmi les Bulgares). Znak’ 94, Veliko Tirnovo, 1996, p. 109.
  16. A propos du seul “complexe” ethnique des Valaques en Bulgarie, jouissant d’un statut relativement élevé, mais parfois identifiés aux Tsiganes valaques, qui parlent aussi le roumain, voir Anastassova, E. Selo Gamzovo, Vidinsko (Le village de Gamzovo, district de Vidin). - In : Aspekti na etnokulturnata situatsiya v Balgariya. Asotsiatsiya AKSES, Sofia, 1994, p. 350. Une autre tendance peut être observée : souvent les deux groupes ne sont pas différenciés par les Bulgares, qui les appellent “tsigani”, notamment au sens de “Non-Bulgares, non-équivalents”).
  17. Anastassova, E. Vlasite v Balgariya - osem godini po-kasno (Les Valaques en Bulgarie - huit ans plus tard). - In : Aspekti na etnokulturnata situatsiya v Balgariya. Osem godini po-kasno. Otvoreno obchtestvo, Sofia, 2000, pp. 74-75. Cf. Gossiaux, J.-F. Un ethnicisme transnational. La resurgence de l’identité valaque dans les Balkans. - In : Fabre, D. (dir.) L’Europe entre culture et nations. Collection Ethnologie de France. Regards sur l’Europe, Cahier 10 Ed. de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 1996, pp. 191-198.
  18. Anastassova, E. Vlasite v Balgariya - osem godini po-kasno … , pp. 82-83.
  19. ‘Paysan’ (sot, inculte) était une des insultes les plus blessantes sous le régime sociaiste en Bulgarie. Voici deux exemples typiques. Le premier est une anecdote populaire de ce temps-là. “Sais-tu pourquoi les paysans, venus dans la capitale, passent au “rouge” des feux de circulation? Ils font ça afin que le flic les arrête et qu’il leur dise : “Citoyen, vous ne devez pas passer au “rouge”.” Le deuxième exemple est une histoire vraie, dont j’ai été moi-même témoin. Deux garçons, l’un de Sofia, l’autre de la province, prennent connaissance l’un avec l’autre. Le premier dit : “Je m’appelle Sacho.” Le deuxième répond : “Et moi, je suis de la province.”
  20. Les renseignements cités ci-dessus, reflétant les représentations sur les Turcs en Bulgarie, sont recueillis lors d’enquête, menée dans les districts de Razgrad et de Kustendil avec l’aide financier des fondations américaines “Carnegie Corporation” et “Yrex”. Le premier exemple est de A. M., 67 ans, Turque, née à Glodjevo, interviewée le 21. 02. 1992 par E. A. à Glodjevo. Le deuxième exemple est déjà publié et commenté ans un autre contexte - Anastassova, E. Moi et l’autre: Mythologie et identité. Le problème turc en Bulgarie. - In : - Carbonell, Ch.-O. (sous la dir.) De l’Europe. Identités et identité. Mémoires et mémoire. PUSST, Toulouse, 1996, p. 174.
  21. Parmi les autres je note la déception et la négation totale du cabinet et de la majorité précédents; l’espoir que Simeon, après sa carrière réussie en Occident, pourrait aider son pays de surmonter les difficultés économiques; l’attente de nouveaux contacts avec l’Occident au moyen des relations de Simeon au monde des affaires; son appel d’ “une nouvelle morale dans la politique” et de “transformations positives au pays en 800 jours, qui ne serait pas de la moindre importance “.
  22. Le fondateur de “la Grande Bulgarie” sur les bords septentrionnaux de la mer Noire au VII siècle. Il est de la dynastie Dulo.
  23. L’article est publié dans le quotidien au plus grand tirage en Bulgarie - “Trud”. - Dimitrov, B. La race de Simeon en Europe. - Trud, le 28 mars 2001, pp. 10-11. L’article est illustré de l’arbre généalogique de Simeon.
  24. Gelner, E. Natsii i natsionalizam (Nations et nationalisme). Sofia, 1999, p. 168. [Edition anglaise : Nations and nationalism, Oxford, Basil Blackwell, 1983]
  25. Le quotidien “24 tchasa”, le 27 juillet 2001, p. 6.
  26. La constitution de la République de Bulgarie ne crée pas de droits collectifs pour communautés ethniques minoritaires. La Bulgarie a signé la convention des droits des minorités.
  27. Petrov, P. “Zvezdata na Kutlech e simvol na makedonskiya narod … balgarite si imat za simvol konskata opachka”. Za proizvodstvoto na etnitcheskite razlitchiya (“L’étoile de Kutlech est un symbole du peuple macédonien …les Bulgares ont la queue de cheval pour symbole.” De la production de différences ethniques). - Bulgarski folklor, 1999, N 1-2, p. 79.
  28. En 1990 la population de la Bulgarie comptait 8 670 000 et en 2000 - 7 974 000. L’accroissement naturel est négatif.
  29. Ce n’est pas par hasard que les média ont nommé le premier-ministre Kostov “le commandant”.
  30. Les membres des Jeunesses communistes.
  31. Les membres de l’organisation d’enfants sous le régime socialiste.
  32. Le “tchatche” du journal “Monitor”, le 19 novembre 2001.
Le texte est publie dans Etudes balkaniques, Cahier Pierre Belon, 2002, N 2, 187 – 208.
Први пут објављено: 2002
На Растку објављено: 2008-01-13
Датум последње измене: 2008-01-13 12:00:22
 

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