Monica Papazu

Le Kosovo : passé et avenir de l’Europe

 

L’événement qui a marqué le début du XXIe siècle, l’entrée dans un nouveau millénaire (entrée qui se charge toujours d’une signification beaucoup plus large que celle d’une simple addition mécanique des années), n’a pas – malgré sa brutalité, sa soudaineté et ses conséquences – été le 11 septembre 2001. Certes, ce terrible événement, qui frappait les Etats-Unis chez eux et anéantissait, en un instant[1], des symboles d’un pouvoir jusque-là censé presque invincible, tragédie humaine éveillant la compassion des étrangers et provoquant chez les Américains le rejaillissement d’un intense sentiment de solidarité humaine et nationale, cet événement a naturellement troublé beaucoup d’esprits et bouleversé l’idée qu’on avait pu se faire, assez naïvement, d’une époque de tranquillité, de sécurité, voire d’harmonie globale. Il a paru révélateur, il l’est sûrement, de la condition humaine hantée par l’insécurité et la vulnérabilité, par l’imprévisible tragique, d’une humanité toujours déchirée par des conflits irréconciliables, par des incompatibilités sous le rapport des mentalités, voire des civilisations, révélateur encore de la trame des forces politiques et militaires planétaires.

L’événement qui signalait, en réalité, le commencement du XXIe siècle, événement encore plus révélateur, car mettant à nu non pas seulement des rapports de force mais des conflits d’ordre spirituel autrement graves, qu’un regard encore ébloui par la chute spectaculaire du communisme, espérant en un renouveau spirituel européen (prise de conscience, retour en arrière, réflexion nouvelle) comme suite à cette chute, n’avait pas encore décelés, cet événement a été la guerre de l’OTAN dans un coin d’Europe, coin obscur, tombé dans l’oubli – oubli d’autant plus intéressant et moins innocent que la mémoire en était constitutive non pas uniquement d’un seul peuple mais de la conscience de soi de l’Europe : le Kosovo[2]. C’est cette guerre qui a constitué l’événement le plus profond, le plus significatif, et le plus révélateur du temps, l’événement qui définissait à lui seul l’essence de l’époque post-communiste et dévoilait l’orientation mentale politique et la destinée historique des peuples à peine affranchis du communisme.

Tandis que décembre 1989 marquait un renversement des choses, une rupture, une brèche, la présence (au moins potentielle) d’une liberté où l’homme peut choisir son chemin, la décennie qui a suivi, a, peu à peu, fait entrevoir la continuité fondamentale des deux périodes – continuité dans les idées, dans le fonctionnement des systèmes, similitude dans les intentions et les comportements politiques, ce qui n’est pas sans rappeler l’image, que nous donne le livre de l’Exode, des eaux de la mer qui “ se fendirent ” pour un moment, permettant le passage, et qui revinrent par la suite, quand “ le vent d’est ” cessa (Ex 14,21-28).

Dix ans après la chute du communisme, la guerre de l’OTAN contre la Serbie : guerre opposant une force militaire gigantesque (la force de 19 Etats, pour la plupart des pays avancés, ayant joui d’un demi-siècle de paix et d’abondance matérielle, la force de la seule Superpuissance à l’heure actuelle) aux possibilités de défense naturellement minces d’un petit Etat, et, qui plus est, d’un pays en crise, pas encore guéri des blessures d’un passé récent odieux (le communisme) et d’un présent pas moins douloureux[3] ; guerre dépourvue d’appui légal (sans mandat des Nations unies) et constituant une violation évidente des principes tant modernes qu’anciens du droit international[4] ; guerre revêtant de surcroît une dimension spirituelle à part : commencée les 23-24 mars 1999, poursuivie pendant 78 jours, la guerre de l’OTAN contre la Serbie s’est déroulée pendant le Carême et la fête de la Résurrection du Seigneur. Le fait que les bombardements américains se sont prolongés pendant les Pâques n’est pas seulement significatif en lui-même, il l’est d’autant plus par comparaison au respect que les Américains ont tenu à manifester pour le sentiment religieux des musulmans d’Irak, interrompant les hostilités pendant le Ramadan[5].

En effet, ce détail, discret en apparence, comme perdu sur la scène grandiose de l’histoire, est d’importance. Il touche à l’essence de cette guerre. Il s’insère dans un enchaînement hautement significatif des choses, qui s’achève, pas seulement par l’éviction des derniers Serbes du Kosovo[6], mais encore par l’anéantissement presque total de la culture européenne chrétienne de la région, destruction de la mémoire que l’Europe a d’elle même et de ses racines[7].

*

La mémoire du Kosovo – la mémoire que le Kosovo incarnait en lui-même – ne se réduit pas à son rôle fondamental dans le coeur du peuple serbe. L’histoire du Kosovo revêt le caractère d’un conte exemplaire, d’un témoignage qui est celui de l’Europe chrétienne. A un premier niveau, le conte (ou la geste) du Kosovo c’est l’histore d’un peuple qui survit en transformant le fait brut de l’Histoire en fait culturel, en poésie, en chanson, en art. Devant la force brutale de l’Histoire se dresse une force d’une tout autre nature : le “ pouvoir ” du “ tyran ” “ s’arrête devant la guzla ”[8]. Il révèle ainsi cette vocation qu’a l’homme de survivre à ce que Mircea Eliade appelait “ la terreur de l’Histoire ”, grâce à la mémoire et à la création culturelle (les deux, mémoire et culture étant, au fond, presque synonymes)[9].

En 1399 déjà, dix ans après la défaite de Kosovo et la mort du prince Lazare, la princesse Jefimija, “ longée dans les ténèbres de la foi ”[10], se mettait, telle une nouvelle et différente Pénélope, à l’ouvrage, tissant en fil d’or et en mots la toile de la patience et de la fidélité, conservant la mémoire du “ matyr ” qui a “ préféré quitter la grandeur fragile du règne terrestre ” et par sa mort se “ ranger dans la compagnie du Roi céleste ”[11]. Déjà donc, les faits historiques se chargeaient d’une dimension immatérielle, d’une signification spirituelle : la défaite, l’écrasement, la mort étaient dépassés par leur relecture à la lumière de la foi. Les faits concrets de l’histoire devenaient eux-mêmes porteurs d’un témoignage de la foi. Par sa défaite librement consentie, même consciemment choisie[12], ce prince au nom symbolique de Lazare exprimait la foi de tout un peuple dans la vie qu’on ne peut gagner qu’en la perdant, dans le Royaume des cieux qu’on ne peut trouver que par la Croix. Du fait brut – et comme tel insignifiant, car marqué par la banalité du “ rien de nouveau sous le soleil ” (Qôhélet 1, 9) – de la défaite d’un peuple quelconque par un Empire en expansion, la conscience serbe tressait un témoignage de la foi, foi dans ce qui est “ la seule chose vraiment nouvelle sur terre ”[13], c’est-à-dire le Christ, le Christ de la Croix et de la Résurrection. “ Sans mort il n’est pas de résurrection ”[14], retentira pendant des siècles dans cette culture des vaincus qui, eux, découvrent, caché sous les traits visibles de la mort, le sens d’une victoire qui n’est pas de ce monde, et se sentent appelés hors du tombeau. Le peuple serbe est bien ce peuple de la Résurrection – le peuple qui s’est levé de “ l’ossuaire sacré ” du Kosovo[15].

Peuple de la Résurrection, de la patience, de la force morale, les Serbes sont une nation animée, comme disait Chesterton, par un esprit à part qui garde le souvenir d’une défaite plutôt que celui d’une victoire[16]. Ils sont probablement le seul peuple sur terre qui ait choisi la date d’une défaite pour jour national (15/28 juin, Vidovdan, St Guy). Non pas pour cultiver la douleur, ni pour nourrir la soif de vengeance, mais pour rendre grâce pour la mort qui se change en Vie. Jour national qui, au fond, n’a d’autre signification que d’exprimer la foi chrétienne.

Rien dans le mythe du Kosovo, répétons-le, rien dans les textes de cette grande épopée, ne saurait pousser à la vengeance ou inspirer des rêves de grandeur terrestre. Bien au contraire[17]. Il est le conte de la mémoire et de la fidélité. Le conte du terroir qu’on ne saurait vraiment appeler sien que lorsqu’il se mue en une réalité d’un autre ordre, que lorsque sur la géographie concrète se superposent les traits d’une autre géographie, spirituelle, impalpable, mythique... vraie.

A ce niveau profond, le Kosovo est inséparable de la mémoire de l’Europe, des racines dont se nourrit l’âme européenne. Il a sa permanence non pas seulement dans la conscience des Serbes et des peuples voisins partageant la même destinée historique et le même horizon spirituel[18], il est également présent dans la conscience culturelle des autres pays européens. L’Europe de Goethe, de Mme de Staël, de Jacob Grimm, Lamartine, Mérimée, Mickiewicz, Europe d’Andersen, sensible au son de la guzla, l’instrument monocorde de la mémoire fidèle, s’identifiant aux souffrances et à la soif de liberté des Serbes[19] ; Europe du XIXe siècle, certes, mais aussi Europe du XXe siècle – rappelons seulement la sympathie que ce grand écrivain chrétien que fut Chesterton témoignait à la Serbie, Chesterton pour qui le sens de l’âtre, du foyer (“ a hearth ” and “ a native land ”) reflète le lien transcendant de l’être humain[20], et qui comprenait en profondeur la signification du Kosovo comme la dimension par excellence de la nation chrétienne[21].

Dès lors, l’oubli de l’Europe actuelle, joint à l’incompréhension, au dédain et à l’agressivité des dirigeants américains, n’est nullement innocent, et la guerre de l’OTAN, en apparence porteuse de bonnes intentions, de valeurs généreusement universelles, revêt des significations autrement graves. Cette guerre met face à face la vieille Europe et la Nouvelle. Europe de la mémoire, des monastères et des églises, des contes et des fidélités, d’une part, et, d’autre part, une Nouvelle Europe, rompant avec ses racines, Europe de l’oubli, envoûtée par des rêves idéologiques d’une harmonie multiethnique, d’un anonymat multiculturel. L’Europe des communautés organiques à dimension ontologique, face à l’Europe des constructions artificielles triomphales de l’ “ esprit de géométrie ”.

Ainsi la défaite serbe de Kosovo Polje en 1999 est-elle tout aussi révélatrice que celle de 1389. La bataille du Champ des Merles se réactualise avec des connotations nouvelles. Elle marque l’entrée dans une nouvelle époque, l’émergence d’un nouvel empire. Similitude entre deux défaites, similitude entre deux forces impériales écrasantes. Différence majeure pourtant, car l’empire en question n’est pas, apparamment, un empire étranger, d’une autre foi et d’une autre civilisation (en apparence seulement, car il s’agit bien – nous y reviendrons – d’une autre foi et d’une autre civilisation), mais celui de l’Europe même, mercenaire par rapport à une Amérique de la force, se déniant elle-même en déniant ce passé, sans lequel il n’est pas d’identité européenne. Le Champ des Merles est une blessure dans l’âme de l’Europe. La question angoissante qui se pose alors dépasse de loin la tragédie, si profonde soit-elle, d’un seul peuple. Une Europe qui se détache de sa mémoire, de la foi qui a constitué l’essence de sa culture et civilisation, une Europe qui assiste impuissante ou indifférente à l’anéantissement de son passé, et y contribue même, quelles chances de survie a-t-elle encore ? Il n’est pas question ici de la survie matérielle, plus ou moins confortable, et pas moins fragile que toutes choses terrestres, mais de cette continuité des points de repères spirituels, sans laquelle il n’y a pas de culture proprement dite. Les sources vives de la mémoire, du conte, de la création spirituelle, de ce processus subtil de relecture de la vie individuelle et de l’histoire collective à la lumière de la foi, de cette quête du sens, seraient-elles tout aussi fraîches qu’en 1389 ? Qu’en est-il après les déserts de l’oubli obligatoire du communisme et dans l’état d’érosion constante des traditions organiques européennes ? Dans l’espace restreint de cet essai, nous ne ferons aucune tentative de répondre – la question pourtant doit être posée.

*

Qu’est-ce qui se dresse donc en face de cette Europe des profondeurs que nous esquissions plus tôt ? Des universaux idéologiques à teinte utopique, “ droits de l’homme ”, “ stabilité mondiale ”, “ paix ” planétaire, société “ multiculturelle, multiethnique ”[22] ; une vision politique qui embrasse le monde comme une seule unité, ou, si l’on veut, comme une cité “ une et indivisible ”, cité totale à construire selon un modèle idéal. Vision face à laquelle les communautés organiques, les enracinements historiques ne sont qu’un poids mort qu’on doit écarter, des entraves sur le chemin du progrès.

Ce n’est pas seulement l’idée d’un “ Nouvel Ordre Mondial ” qui renvoie, quels que soient les méandres, souvent surprenants, de la politique américaine[23], à un projet mondial qui instaurerait un ordre à la place du “ chaos ”, mais aussi ce texte, passé presque inaperçu, du Nouveau Concept Stratégique de l’OTAN du 24 avril 1999. Assez banal en apparence, riche en clichés et en redondances sur lesquels on serait, à première vue, tenté de glisser, et en expressions caractéristiques du Newspeak,[24] le texte n’est pas dépourvu du charme discret d’un projet utopique de dimensions planétaires.

Dans cette “ approche globale de la sécurité ”, terme clé, répété maintes fois dans le texte[25], la “ défense ” des pays euro-atlantiques a subi un profond remodelage sémantique. Elle déborde de loin l’autodéfense face à un danger concret, à un ennemi réel, précisément défini. Absorbant tous les problèmes du monde auxquels l’Alliance devrait faire face et dans lesquels elle s’arroge le droit d’intervenir, l’OTAN devient une force offensive, changeant ainsi de nature. Ces problèmes incluent pêle-mêle “ terrorisme ”, “ sabotage ”, “ crime organisé ” (24), ainsi que la sphère presque illimitée des “ difficultés économiques, sociales et politiques ” : “ des rivalités ethniques et religieuses, des litiges territoriaux, l’inadéquation ou l’échec des efforts de réforme, des violations des droits de l’homme et la dissolution d’Etats ”, et même les “ souffrances humaines ” (20). On dirait : l’étoffe dont est faite l’histoire. De toute évidence, nous nous trouvons en face de la trame de l’histoire dans sa complexité, en face de conflits régionaux ou de crises intérieures des pays, relevant d’une souveraineté d’Etat qui du coup apparaît comme nulle.

Ne s’agissant plus d’une autodéfense au sens normal du terme, d’une défense proprement dite du territoire, l’espace opérationnel de l’Alliance se trouve élargi au point de coïncider avec la planète entière. Le texte le définit comme “ la région euro-atlantique et alentour ”, “ la périphérie de l’Alliance ” (20)[26]. Termes savoureux, idylliques même, d’un parfum brejnevien trop vite oublié, devant lesquels le paysan du Danube ne saurait s’empêcher de poser la question : “ Périphérie ? Soit ! Mais où s’arrête-t-elle ? ”. “ La périphérie ” suppose par nature une frontière où elle s’arrête, le point où émerge un autre corps solide, une autre localité, une autre puissance. Comme cette frontière n’est pas définie ni cette puissance autre nommée – puisqu’elle n’existe en fait pas, comme il n’existe plus d’équilibre de forces[27] – il s’ensuit que le monde entier représente la périphérie de l’OTAN. Un tel langage ne tient pas seulement d’une rhétorique hyperbolique, il reflète une intention, une stratégie : il rappelle la manière, d’ailleurs naturelle, dont un empire concevrait la géographie du globe. Il y a centre de l’empire, et il y a une périphérie.

Les opérations de l’OTAN (avec “ stationnement ” et “ déploiement de forces hors du territoire national ” 53b) ne sont pas seulement justifiées par des raisons multiples, mettant en cause le système traditionnel du droit international et la souveraineté des Etats qui en constituait le principe fondamental, non pas seulement par cette conception nouvelle du monde comme “ périphérie de l’Alliance ”. Elles sont justifiées, en plus, comme “ réponses ” à une catégorie encore plus indéfinie de dangers, celle de “ crises potentielles ” et d’ “ aggression potentielle ” (48, 41). Le terme est particulièrement intéressant, étant donné que le “ potentiel ”, donc le non-actuel, ce qui ne s’est pas encore manifesté en acte, ne peut, au fond, être prouvé, il dépend d’une interprétation ouverte à l’arbitraire. Des “ interventions ” à partir du “ potentiel ” correspondent à une idée de “ justice ”, amplement illustrée dans le totalitarisme, celle des châtiments pour délit d’ “ intention ”[28]. Le Concept Stratégique reprend justement, sur un plan supérieur (celui des rapports internationaux, celui de la relation de l’OTAN avec le reste du monde), cette idée de “ défense ” de l’Etat, inscrite dans le Code Pénal de l’URSS, contre des dangers potentiels, ainsi que de la punition non pas seulement pour des crimes, mais aussi pour des “ intentions ”, pour “ la mise en place des conditions ” pour commettre un crime, ou pour le caractère “ dangereux ” en soi de d’inculpé (art. 19). Le parallèle est saisissant, en ce qu’il révèle la tendance totalitaire de l’OTAN : on dirait qu’une substitution s’est produite, avec l’OTAN à la place de l’Etat totalitaire, et les pays du monde à la place des citoyens soviétiques. La substitution n’est nullement nouvelle au plan théorique, elle est au contraire très caractéristique des textes utopiques ayant trait à la création d’un Nouvel Ordre Mondial[29].

Le Concept Stratégique pourrait être considéré comme le reflet d’une banale attitude impériale. Il définit l’action – la réaction – du “ centre ” par rapport à la “ périphérie ”. Eh bien, ces “ réponses ” militaires (avec “ déploiement de forces ”, 53b) à des problèmes régionaux de toutes sortes, suggèrent en même temps l’idée de ce que le monde devrait être, elles représentent autant de tentatives de façonner le monde selon un certain modèle, d’édifier cet Ordre Nouveau du Monde, de maîtriser l’histoire.

Il est significatif que, dans la chaîne des événements, le Concept Stratégique vient justifier après coup l’intervention contre la Serbie, intervention qui, d’autre part, a été une occasion pour l’OTAN de manifester sa puissance par une guerre concrète (ce qui n’avait pas été le cas au temps du communisme), comme gagnée d’avance, ne présentant pas de risques pour ses propres combattants qui se trouvaient à 5000 mètres d’altitude, et en même temps de substituer une attitude offensive aux rigueurs d’une vraie défense, de se forger une raison d’être (une fois l’ennemi redoutable disparu), d’échafauder une idéologie auto-justificatrice et justificatrice d’une action d’avenir, l’OTAN n’étant plus tournée vers une réalité qu’on doit protéger et sauvegarder (territoire, indépendance), mais vers un avenir qu’on doit bâtir.

La justification que l’OTAN s’est créée par cette guerre qui a illustré une orientation nouvelle[30] pourrait se ramener à deux notions de base : “ la paix ” et “ les droits de l’homme ”. Au lieu d’insister sur ce qu’on appelle le “ double standard ” de la politique américaine ainsi que sur le désaccord entre le slogan de la “ paix ” et des “ droits de l’homme ” et la réalité qui en découle (destruction d’un pays – la Serbie –, l’état d’anarchie du présent Kosovo, en proie à une “ narco-guerilla ”, et devenu une sorte d’Etat mono-ethnique ; le caractère discriminatoire des “ droits de l’homme ”, dignité qui n’est pas octroyée à tous mais seulement aux élus du moment : les Serbes, victimes de la guerre, en étaient dépourvus, comme en étaient dépourvus les êtres humains rabaissés dans la catégorie de “ dégâts collatéraux ”), il convient plutôt d’interroger le prétendu “ idéal ” en lui-même.

A leur manière, les Etats-Unis (avec l’OTAN comme machine de guerre) incarnent précisément un certain idéal de la “ paix ”, à savoir “ la paix du monde ”, paix que je qualifierais d’horizontale : “ paix du monde, selon les prémisses de ce monde ”. Car la “ paix du monde ”, la paix que le monde est capable de se donner lui-même, est bien la paix “ par le glaive ”[31]. Paix qui comporte, pour l’exprimer sans ambages, l’établissement d’une et seule Superpuissance, “ une autorité centrale capable de contrôler le monde entier ” (autorité s’emparant du pouvoir “ par la force ou par la menace du recours à la force ”), gouvernement mondial muni d’un pouvoir “ législatif ” et “ judiciaire ” à la fois, monopolisant les ressources militaires existantes et possédant “ la seule armée ” du monde. L’autorité centrale interviendrait partout où il y a des signes de conflits afin d’assurer “ la victoire rapide de la part favorisée ” et de ramener les guerres “ au niveau de révoltes sporadiques étouffées en vitesse ”, elle ferait des “ transferts de territoires d’un Etat à l’autre ”, décidant souvent en faveur du principe démographique aux dépens du principe historique, et elle mettrait finalement en place un nouveau système d’éducation de l’homme en vue de le libérer du poids du passé et des “ préjugés ” nationaux. A l’organisation “ rationnelle ” du monde s’ajoute ainsi une révolution de l’entendement humain, voire une refonte de l’homme, suivant le principe des Lumières: “ Ce qu’on appelle ”la nature humaine” peut être modifié presque entièrement grâce à des changements dans l’éducation que l’homme reçoit dès le début de sa vie ”. Voilà en quelques mots la solution du type Bertrand Russell[32]. (Russell avait formulé sa théorie de la paix en 1917, mais il paraît que ce n’est qu’à présent que le projet a toutes les chances de se réaliser.)

“ La paix du monde ” a sa propre logique, inexorable. Elle ne signifie pas que la guerre disparaît pour autant, elle signifie seulement que la guerre passe du niveau local, limité (conflits civils, guerres entre les Etats), à un niveau supérieur (puissance mondiale face à des Etats-sujets) et s’universalise. Cette solution de la paix du monde est prise dans un cercle vicieux qu’on pourrait définir de la façon suivante : pour combattre la puissance des Etats, il faut créer un Super-Etat ; pour abolir la guerre, il faut déclencher la guerre universelle et permanente.

C’est dans la même logique que s’inscrivent “ les droits de l’homme ”. Ils sont indispensables par rapport à un système mondial auquel ils servent d’instrument. Pris au pied de la lettre, traduits en des réalités concrètes, rigoureuses, “ les droits de l’homme ” impliquent une juridiction universelle, une sorte d’Etat global qui s’arrogerait le rôle de protecteur de l’humanité (des milliards d’hommes qui la constituent), doté d’un appareil de surveillance, et ayant à sa disposition des institutions juridiques capables de prononcer des verdicts et de punir. Les punitions devraient être infligées pas seulement à des représentants des Etats réfractaires (punitions exemplaires), mais encore à des peuples insoumis ou indisciplinés – punitions collectives sous forme de sanctions et de guerres qui, à leur tour, exigent l’existence d’une machine de guerre justicière.

C’est ce mécanisme des solutions totales – de souche utopique – qui semble se manifester déjà au niveau de la réalité historique : guerre punitive en Yougoslavie, guerre censée porter (et apporter) la justice, la paix et les droits de l’homme ; procès de Milosevic, ayant le rôle de donner une justification a posteriori à la guerre de l’OTAN, et d’imposer ce tribunal à part (TPIY) comme instrument politique d’un Nouvel Ordre Mondial[33].

Que l’OTAN ait violé le droit international ne fait aucun doute. Qu’elle l’ait fait impunément est tout aussi évident[34]. Ce qui est le plus grave, ce n’est pas la violation du droit international en elle-même (l’histoire des cinquante dernières années en fournit d’innombrables exemples), mais l’idée, qui commence à se faire jour, d’un “ nouveau ” droit international. Ceci n’est nullement surprenant. Dans la logique utopique de la paix globale, violation du droit international et avènement d’un droit international “ authentique ” sont inextricablement liés. Chez Russell, pour nous borner à un seul exemple, le pouvoir central qui s’établirait par la violation du droit international classique s’appuyant sur le principe du respect de la souveraineté des Etats – usurpation fondatrice – opérera enfin le passage au vrai règne du droit, “ la substitution de la loi à l’anarchie ” (“ the substitution of law for anarchy ”[35]).

Idée paradoxale ou hypocrisie ? Eh bien, pas du tout. Certes, on invoque souvent le droit international depuis Grotius. Mais qu’est-ce qu’on invoque au fond ? Non pas un droit comparable au droit des nations (avec la juridiction, la jurisprudence, l’appareil juridique, etc., caractéristiques du système interétatique), mais plutôt des règles à mi-chemin entre l’écrit et le non-écrit, règles qui pourtant devraient être respectées, des traités et des conventions qu’on peut toujours modifier ou enfreindre, des coutumes, des traditions[36]. Le droit international est plutôt un symbole, une intention, un repère moral. C’est la faiblesse du droit international – mais cette faiblesse en constitue aussi la grandeur. C’est seulement avec cette limitation et cette impuissance inhérentes, que le droit international est ce qu’il est, c’est seulement de cette façon qu’il arrive à protéger en quelque sorte les petits Etats contre les grands, la liberté et la vie des peuples, et s’il ne peut le faire – l’appareil contraignant lui faisant, en grande mesure, défaut – il reste toujours, de par sa simple et timide présence, révélateur d’injustices (ce qui a été aussi le cas lors de la guerre otanienne en Yougoslavie).

Vouloir surmonter les limites et l’impuissance du droit international (limites et impuissance dues à la souveraineté des Etats), ce n’est pas le faire parvenir à la maturité, c’est l’annihiler. Transformer le droit international en un droit réel, tout aussi serré et élaboré que le droit d’un pays – idée maîtresse des penseurs utopiques de la paix, incapables de concevoir les relations humaines (et les relations entre les Etats) autrement qu’en termes de contrat et de système juridique contraignant, et s’imaginant “ l’état de nature ” comme équivalant à “ la loi de la jungle ” ou à “ l’anarchie ”[37] –, implique, par la condition donnée des choses terrestres, une construction totalitaire à l’échelle planétaire.

“ La paix par le glaive ” et la paix par le droit “ cosmopolitique ” ne sont pas des solutions qui s’excluent l’une l’autre. Elles se renforcent mutuellement.

C’est sur cette logique utopique-totalitaire que débouche la guerre de l’OTAN. Guerre révélatrice d’un nouveau millénaire, qui, somme toute, n’est pas du tout nouveau. Mêmes tentations totalitaires, et le même déracinement des peuples, auxquels on voudrait faire, encore une fois, oublier leur histoire afin de pouvoir accueillir “ les lendemains qui chantent ”. Telle est bien la perspective qui s’ouvre par la défaite du Champ des Merles en 1999 : défaite de l’Europe par elle-même.

*

“ Tu as préféré quitter la grandeur fragile du règne terrestre, te couvrir de ton propre sang et te ranger dans la compagnie du Roi céleste ”, écrivait la princesse Jefimija, en 1399, dans sa “ Louange du prince Lazare ”[38]. Confession de foi, message de l’humilité : le legs du Kosovo, legs de l’homme qui s’incline devant un autre royaume que celui de ce monde. Quelle différence par rapport à l’esprit du jour, à cette vision de l’homme-démiurge en train d’édifier son royaume à lui comme solution finale de tous les maux de l’humanité, et qui se dit : “ Que notre règne vienne ! ”[39].

  1. Parmi les contes d’Andersen il y en a un (“ Det utroligste ”, “ Ce qu’il y a de plus incroyable ”) qui, avec cette force de parler en symboles et cette lucidité caractéristiques de l’écrivain danois, éclaire en partie l’acte terroriste qui réduisit à néant une œuvre, à maints regards considérée comme l’essence d’une civilisation. A cette œuvre – à cette “ merveille ”, à “ l’incroyable ” qu’on avait créé – l’homme brutal oppose, chez Andersen, sa propre “ merveille ”, en apparence encore plus inouïe, encore plus “ incroyable ” et digne de gloire, et qui frappe de stupeur l’humanité entière : l’“ œuvre ” de la destruction. En un seul instant le chef-d’œuvre d’une civilisation vola en éclats. Le conte d’Andersen met en relief la force brutale qui d’un seul coup peut réduire une civilisation en poussière. Pourtant, comme nous le suggérions plus haut, l’histoire d’Andersen, tout en donnant une image saisissante des puissances destructrices de l’homme, ne reflète qu’en partie la tragédie du 11 septembre, car, chez lui, il s’agit non pas des symboles du pouvoir, mais d’une œuvre spirituelle, œuvre incarnant la culture européenne chrétienne, fruit d’un art difficile, de la réflexion et de la vie quotidienne orientés par la foi. Ainsi, la destruction n’a-t-elle pas le dernier mot, car la grâce de la Résurrection ne cesse de visiter l’âme de l’Europe, le chef-d’œuvre prenant de nouveau corps de ses propres ruines. (H.C. Andersen, “ Det utroligste ”, in Samlede Eventyr og Historier, Odense, Hans Reitzels Forlag, 1985, pp. 940-945.) Voir plus loin : note 7.
  2. Oubli qui se répète d’ailleurs. Les Serbes du Kosovo n’ont pas, par exemple, été pris en considération lors du Congrès de Berlin (1878) qui décida du sort des populations chrétiennes des Balkans. Voir : les plaintes adressées par l’Archimandrite Sava Decanac aux grandes puissances (Dusan T. Batakovic, The Kosovo Chronicles, Beograd, Plato, 1992, pp. 109-110), ainsi que le poème poignant de Djura Jaksic “ A l’Europe ” (in Anthologie de la Poésie Yougoslave des XIX e et XX e siècles, éd. Miodrag Ibrovac, Savka Ibrovac, Paris, Librairie Delagrave, 1935, pp. 61-62).
  3. Il faut invoquer ici non pas seulement les souffrances caractéristiques infligées par tout régime totalitaire, mais aussi la politique anti-serbe de Tito qui est, en grande mesure, responsable de la tragédie du Kosovo. Pour briser la résistance des Serbes, Tito créa des régions autonomes (la Voïvodine et le Kosovo). La Région Autonome du Kosovo et Metohija (désignée comme telle à partir de 1945) se vit accorder (1959) des zones appartenant à la Serbie Centrale, zones qui d’ailleurs n’avaient qu’une faible population albanaise ou en étaient même dépouvues. La Constitution de 1974 octroya une autonomie encore plus large au Kosovo, équivalant à la formation d’un Etat dans l’Etat. Dans la même période, les communistes albanais rayaient le nom de “ Metohija ”, avec sa dimension historique serbe et son contenu chrétien, de l’appellation de la région (“ Metohija ” vient du grec et signifie “ propriété ou domaine de l’Eglise ”). Avec l’Université de Pristina (fondée en 1970), entretenant d’étroites liaisons avec le régime d’Enver Hodja, une intelligence albanaise mécontente, radicalisée, était formée. (Hashim Thaci, le leader politique de l’UCK, est un ancien activiste estudiantin de Pristina.) Représentant environ 40 % de la population en 1912 (61 % selon le recensement de 1929), les Serbes ont été continuellement expulsés du Kosovo (ou contraints à quitter la région) pendant la période communiste. Tito interdit aux réfugiés serbes et monténégrins de retourner dans leurs foyers après la guerre, il favorisa l’afflux de population albanaise, ainsi que l’explosion démographique des Albanais du Kosovo (la natalité la plus élevée de l’Europe). Menacés, victimes des violences, sans possibilité de trouver du travail, beaucoup de Serbes et de Monténégrins (42,2 % des Serbes, 63,3 % des Monténégrins) quittèrent la province de 1961 à 1981. A la fin des années 1990, la population serbe ne représentait plus que 10 %. Le séparatisme albanais au Kosovo, l’escalade de la violence par l’UCK (fondée en 1991), les mesures prises par Milosevic en 1989 de ramener le Kosovo dans les limites du statut d’avant 1974, reflètent, en partie, la crise créée par la politique de Tito. Rappelons aussi que le démantèlement sanglant de l’ancienne Yougoslavie a provoqué de grandes vagues de réfugiés (la Serbie en accueille environ 700.000), l’expulsion, en 1995, de 360.000 Serbes (suite aux opérations croates “ Eclair ” en Slavonie occidentale et “ Tempête ” dans la Krajina de Knin), étant considérée, même tenant compte du caractère endémique du phènomène dans cette région, comme une purification ethnique de proportions considérables. (Aleksa Djilas, “ Imagining Kosovo ”, in Foreign Affairs, septembre-octobre 1998, pp. 124-131 ; Milovan Radovanovic, “ Kosovo and Metohia – A Geographical and Ethnocultural Entity in the Republic of Serbia ”, in The Serbian Question in the Balkans, Faculty of Geography, University of Belgrade, 1995, pp. 83-121 ; Traian Stoianovich, Balkan Worlds : The First and Last Europe, New York, M.E. Sharpe, 1994, p. 304; Chris Hedges, “ Kosovo’s Next Masters ”, in Foreign Affairs, mai-juin 1999, pp. 24-42.)
  4. Principe du respect de la souveraineté nationale, en vigueur depuis la paix de Westphalie (1648) ; principe qui condamne l’idée de la guerre punitive, où un Etat s’érige en juge d’un autre Etat. Emer de Vattel, Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des nations et des souverains (1758) : “ Cependant, il peut arriver que les contendants soient l’un et l’autre dans la bonne foi ; et dans une cause douteuse il est encore incertain de quel côté se trouve le droit. Puis donc que les nations sont égales et indépendantes et ne peuvent s’ériger en juges les unes les autres, il s’ensuit que dans toute cause susceptible de doute, les armes des deux parties qui se font la guerre doivent passer également pour légitimes, au moins quant aux effets extérieurs et jusqu’à ce que la cause soit décidée ” (liv. III, chap. III, parag. 39). “ La guerre en forme, quant à ses effets, doit être regardée comme juste de part et d’autre ” (liv. III. chap. XII, parag. 190). (Cité par Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Calmann-Lévy, 1962 ; 6e édition, 1968, p. 120 ; souligné par nous). Aussi chez Kant : Zum ewigen Frieden : Ein philosophischer Entwurf (1795), I, 5, 6.
  5. En 1998, les bombardements contre l’Iraq ont cessé à la veille du mois de Ramadan (le 19 décembre). Ils ont néanmoins continué tout au long des années 1999 (plus de 100 jours, plusieurs frappes aériennes par jour), 2000, 2001 : un autre exemple de guerre punitive américaine qui d’ailleurs se déroulait en même temps que la guerre contre la Yougoslavie. Le 19 novembre 2001, à la Maison Blanche, le président Bush a tenu un beau discours pour ses invités musulmans, où il a souligné le caractère sacré du Ramadan ainsi que l’avenir lumineux de “ paix ” qu’il promet aux Afghans (“ Bush honors Islam Holy Month ”, U.S. Department of State, International Information Programs, 19 novembre 2001).
  6. L’exode des derniers Serbes du Kosovo, contraints à abandonner leurs foyers à cause de la violence albanaise, représente le dernier chapitre d’un long processus historique, commencé en 1689-90 (le Grand Exode), poursuivi pendant des siècles, aggravé pendant le communisme. La Pax Americana a parachevé ainsi l’une des plus grandes tragédies historiques d’un peuple européen.
  7. Destruction ou endommagement des églises et monastères orthodoxes serbes par les bombardements de l’OTAN, destruction continuée par la violence antichrétienne systématique des Albanais du Kosovo. Voir : Simon Jenkins, “ Not War but Vandalism ”, The Times, 7 mai, 1999 ; Veselin Kesich, “ Kosovo in the History of the Serbian Church ” in St Vladimir’s Theological Quarterly 44 : 3-4 (2000), pp. 279-308. La liste complète des églises et monastères détruits : Raspeto Kosovo (Crucified Kosovo), Z. Stefanovic, ed., 2000. C’est bien par rapport à ce “ chef-d’œuvre ” de la destruction que le conte d’Andersen “ Ce qu’il y a de plus incroyable ” se réactualise pleinement (note 1).
  8. Petar Preradovic, “ Le legs de l’aïeul ”, Anthologie de la Poésie Yougoslave, p. 41 ; cf. p. 50.
  9. Mircea Eliade, L’épreuve du labyrinthe : Entretiens avec Claude-Henri Rocquet, Belfond, 1985, pp. 95-99.
  10. Comme la décrit le poète Milan Rakic : “ Jefimija ”, Anthologie, p. 183.
  11. La princesse Jefimija, “ Louange du prince Lazare ”, Anthologie, p. 183. Les broderies de la princesse Jefimija se trouvent au monastère de Vrdnik, au Mont Athos (monastère serbe de Hilandar) et au monastère de Putna en Roumanie.
  12. A la veille de la bataille de Kosovo Polje, le prince Lazare reçoit une lettre de la Mère de Dieu : “ "Lazare ! Lazare ! Tzar de noble souche, / Quel est le royaume que ton coeur désire le plus ardemment ? / Choisiras-tu aujourd’hui la couronne du ciel / Ou bien la couronne que te donne la terre ?" / [...] Et Lazare chosit le ciel, pas la terre ”. “ Et un bon et vieil Etat trouva sa mort avec lui, / Avec lui s’effondra le Royaume de ce Monde ”. The Battle of Kosovo : Serbian Epic Poems, trans. John Matthias and Vladeta Vuckovic, Preface de Charles Simic, Swallow Press/Ohio University Press, Athens, 1987, édition internet : www.kosovo.com/history/battle_of_kosovo ; pp. 16, 22. La traduction des citations anglaises dans cet article nous appartient.
  13. Expression patristique : saint Jean Damascène, De fide orthodoxa, P.G. 94 (III, 1).
  14. Petar II Petrovic-Njegos, “ La couronne de la montagne ”, Anthologie, p. 21.
  15. Image du poète Djura Jaksic, “ A l’Europe ”, Anthologie, p. 62.
  16. G. K. Chesterton, “ The Thing Called a Nation : The Spiritual Issue of the War ”, The Daily News, 28 juin (!) 1916, in The Lay of Kossovo: Serbia’s Past and Present (1389-1917), Londres, 1917, pp. 32-35.
  17. Il ne s’agit nullement de nier ou de légitimer les souffrances subies par la population albanaise, victime d’un conflit tragique. L’enchevêtrement de causes est pourtant tel qu’il semble infirmer la seule responsabilité du régime de Milosevic.
  18. N’oublions pas que ni les Grecs ni les Roumains (l’attitude des dirigeants ayant été, dans ce cas, en désaccord avec l’esprit du peuple) n’ont soutenu la guerre de l’OTAN, ce qui d’ailleurs s’est reflété assez correctement dans la presse des deux pays. A noter aussi la prise de position de l’écrivain hongrois György Konrad : interview du 22 avril 1999, Copenhague, Berlingske Tidende.
  19. Les pages remarquables du journal de voyage d’Andersen: En Digters Bazar (Le bazar d’un poète) (1842).
  20. “ Je crois que Dieu a eu une bonne raison pour nous donner l’amour de certains lieux, de l’âtre et de la terre natale [...]. Car autrement nous aurions été tentés d’adorer [...] "l’Eternité" [...] idole immense, celle qui se veut l’égale de Dieu [...]. Dieu m’a donné le commandement d’aimer un lieu précis, de le servir, et de faire même des folies à sa louange, afin que ce lieu puisse rendre témoignage – contre toutes les subtilités et tous les appâts sophistiqués de l’infini – de ce que le Paradis n’est pas "quelque part" mais dans un endroit précis, qu’il n’est pas quelque chose d’indéfini, mais une chose bien précise ”. G. K. Chesterton, Manalive, Arrowsmith, 3e éd., Londres, 1926, pp. 190-191.
  21. G. K. Chesterton, “ On Rescuing the Serbs ”, The Illustrated London News, 15 avril 1916 ; “ The Serbs in History : Harnack and Teutonism, Again ”, The Illustrated London News, 10 octobre 1914 ; in The Collected Works of G. K. Chesterton, éd. George J. Marlin, et al., San-Francisco, 1986, vol. XXX, pp. 411, 175-176. V. aussi note 16.
  22. Vision globale d’une société multiethnique dans le discours du Président Clinton: Frankfurter Allgemeine Zeitung, 17 avril 1999.
  23. Les relations entre la politique américaine et les forces islamistes dans les Balkans apparaissent comme très étonnantes ; alliance étrange avec l’UCK, manifestée d’ailleurs ouvertement lors des pourparlers de Rambouillet avec l’ultimatum à la Yougoslavie qu’aucun Etat n’aurait accepté et qui a servi de prétexte à la guerre. (Interim Agreement for Peace and Self-Government in Kosovo, Rambouillet, France – 23 février 1999, Appendice B, particulièrement paragraphe 8 ; “ Radical Foreign Groups "Arming Kosovo Albanians" ”, in Financial Times, 8 mai 1998, p.2 ; “ U.S. Probes Blasts’ Possible Mideast Ties : Alleged Terrorists Investigated in Albania ”, Washington Post, 12 août 1998 ; Harry G. Summers, “ Bringing Terrorists to Justice ”, Washington Times, 12 août 1998 ; Yossef Bodansky, “ Terrorism and the Balkans ”, in Defense & Foreign Affairs Strategic Policy, avril-mai 1998 ; Yossef Bodansky, Some Call it Peace : Waiting for War in the Balkans, 1996, pp. 155-160. )
  24. “ Opérations de soutien de la paix ”, “ gestion des crises ”, “ opérations de réponse aux crises ”, etc. : ces expressions appartiennent en droit au langage de la propagande otanienne, telle qu’elle s’est manifestée pendant la guerre contre la Yougoslavie – guerre appelée “ opération de paix ” (“ Laissez-moi le répéter : l’OTAN n’entre pas en guerre contre la Yougoslavie. ” Déclaration du secrétaire général de l’OTAN, Javier Solana, juste au moment où les “ opérations aériennes [...] ont commencé ” : www.monde-diplomatique.fr/cahier/kosovo/otan-solana-fr.), bombardements dits “ humanitaires ” qui ont justement “ violé le droit humanitaire international ” (selon le rapport de Human Rights Watch du 7 février 2000).
  25. Le Concept Stratégique de l’Alliance, OTAN Communiqué de Presse NAC-S (99) 65 du 24 avril 1999, 5, 24, 25, 48.
  26. Souligné par nous.
  27. Selon Samuel P. Huntington, le monde est à présent caractérisé par un “ système uni-multipolaire, avec une Superpuissance and plusieurs grandes puissances ” ; “ les autorités publiques américaines sont enclines à agir comme si le monde était unipolaire ” (“ The Lonely Superpower ”, in Foreign Affairs, mars-avril 1999, pp. 36, 37).
  28. L’article 19 (portant sur l’intention) et le célèbre article 58 (crimes contre l’Etat) du Code Pénal de l’URSS (1934).
  29. La tendance totalitaire est une dimension inhérente des projets de la paix, d’Emeric Crucé (Le Nouveau Cynée) à C. I. Castel de Saint-Pierre (Pour rendre la paix perpétuelle en Europe) et à Rousseau (L’état de guerre et Projet de paix perpétuelle). Le principe de substitution s’appuie sur l’analogie “ individu – Etat ” : Ce qui vaut pour les individus à l’intérieur de l’Etat, vaut aussi pour les Etats à l’intérieur d’un Etat mondial. Ou pour citer Bertrand Russell : “ Ce qui vaut pour l’individu ” (à l’intérieur de l’Etat), “ vaut pareillement pour la nation ” (à l’intérieur d’un Etat mondial). (Russell, “ National Independence and Internationalism ”, in Political Ideals, 1917, Unwin Books, Londres, 1963, p. 86). V. plus loin : notes 30, 33.
  30. Cf. Le Concept Stratégique de l’Alliance, 12.
  31. Dostoïevski, Les Frères Karamazov, trad. Henri Mongault, Gallimard, 1973, “ Le Grand Inquisiteur ”, I, pp. 352-353.
  32. Russell, “ National Independence and Internationalism ”, op. cit., pp. 81-83 ; Russell, “ Some Prospects: Cheerful and Otherwise ”, in Sceptical Essays (1935; Unwin Books, Londres, 1963, pp. 162-165, 171). Russell accordait d’ailleurs aux Etats-Unis (ou aux Etats-Unis avec l’aide de l’Empire britannique) ce rôle de donner la paix au monde (“ Some Prospects ”, p. 162). Comme on peut le constater, le projet de Russell n’est pas loin de se réaliser, même en ce qui concerne le transfert des territoires “ selon les désirs de la population locale ” (ibid., p. 163). (L’ancien ambassadeur des Etats-Unis en Yougoslavie, Warren Zimmerman, reconnaissait, en 1998, l’incompatibilité, dans le cas du Kosovo, du principe “ historique et culturel ” et du principe démographique [“ The Demons of Kosovo ”, in National Interest 52, été 1998, p. 10]. La question a été tranchée depuis cette date, le Kosovo ayant été accordé de facto aux Albanais.)
  33. Selon Michael Scharf, “ au sein du gouvernement (américain), le tribunal était généralement perçu comme rien d’autre qu’un instrument de relations publiques et comme une arme politique qui pourrait être utile. [...] Les poursuites judiciaires serviraient, en plus, à isoler diplomatiquement les dirigeants désagréables, à affermir leurs rivaux politiques et à renforcer la volonté politique internationale d’employer des sanctions économiques et de recourir à la force ” (“ Indicted for War Crimes, Then What? ”, The Washington Post, 3 octobre 1999). Voir aussi la critique du TPI: Valérie Heuchamps et Michel Collon, “ André Mazy, premier avocat général (retraité): le Tribunal de La Haye est illégal ”, Solidaire, 20 février 2002. Comme le procès de Milosevic à la Haye a été rendu possible grâce à une promesse d’argent de Judas – bassesse inouïe que de récompenser la trahison et la violation des lois d’un Etat (extradition et enlèvement de Milosevic) – il marque une crise de la justice au beau milieu de l’Europe. Ce n’est qu’en Serbie qu’un procès équitable aurait pu avoir lieu – un procès selon les lois du pays.
  34. Tentatives de poursuites judiciaires (“ Lawsuits against NATO ”, The Center for Peace in the Balkans, Toronto, Ontario, www.balkanpeace.org ; par exemple, Serbian Orthodox Church v. William Jefferson Clinton, US, N.D. Illinois, Eastern Div., 1999, Code Case 99 A) ; opinions des juristes : Michael Mandel, “ Milosevic has a point ”, in The Globe and Mail, 6 juillet 2001 ; Emilio S. Binavince, “ The Rule of Law and the NATO War ”, The Rockford Institute – Center for International Studies, 2000, essai publié aussi par The Center for Peace in the Balkans.
  35. Russell, “ National Independence and Internationalism ”, op. cit., p. 83. Idée kantienne, d’ailleurs: critique de l’état de nature (“ statu injusto ”) et du droit international interprété comme équivalant à l’état d’anarchie et comme une entrave à l’établissement de “ la paix perpétuelle ” dans une “ civitas gentium ” (Zum ewigen Frieden, introduction au chap. II ; II, 2).
  36. Cet aspect a été bien saisi par John R. Bolton dans son article “ The Global Prosecutors: Hunting War Criminals in the Name of Utopia ”, in Foreign Affairs, janvier-février 1999, pp. 157-164.
  37. Sur la question de l’ “ état de nature ” et de la thématique du “ mauvais sauvage ” au XVIIIe siècle : v. la précieuse étude de Xavier Martin, L’homme des droits de l’homme et sa compagne (1750-1850) : Sur le quotient intellectuel et affectif du “ bon sauvage ”, Dominique Martin Morin, 2001.
  38. Anthologie, p. 183.
  39. Cf. Dostoïevski, “ Le Grand Inquisiteur ”, op. cit., I, p. 355.

 

Texte publié dans la revue “ Catholica ” (Paris), no. 75, printemps 2002, pp. 76-90.

Monica Papazu, auteur de “ Det sidste slag paa Solsortesletten : Den nye verdensorden – den nye totalitarisme ” (La dernière bataille du Champ des Merles : Le Nouvel Ordre Mondial – le nouveau totalitarisme), Tidehverv Forlag, 1999. Monica Papazu est originaire de Roumanie. Elle enseigne la littérature comparée et la théologie orthodoxe au Danemark.

 

На Растку објављено: 2008-02-18
Датум последње измене: 2008-02-17 21:30:26
 

Пројекат Растко / Пројекат Растко Данска