Emilija Cerović la Jeune
L’acteur, l’homme, l’enfant et le chien
La valeur du succès d’un acteur a toujours dépendu de la culture, en fait, du modèle culturel et des demandes esthétiques de la société et de l’époque auxquelles il vivait et jouait. Est-il parvenu à atteindre les idéaux envisagés ? De quelle liberté a-t-il disposé ou encore combien d’originalité a-t-il apporté à la scène et combien d’innovations et de progrès a-t-il apporté par rapport à ce qui existait déjà ? Combien était-il en accord avec le style du spectacle dans son ensemble et quelle communication a t-il crée avec ses partenaires ? Est-ce que le spectateur – l’autre artiste théâtral, critique, poète, philosophe de l’esthétique et profane dans le théâtre - a cru en la vérité qu’incarne l’acteur sur scène. Ou, en d’autres termes, jusqu’à quel point l’illusion scénique est puissante et suggestive et combien l’acteur est habile dans sa communication avec les spectateurs.
Les critères ont changé à travers les siècles. Ils se sont différenciés, parfois même diamétralement, au cours de la longue histoire du théâtre. Ils se sont différenciés et ils se différencient encore dans le cadre de la même époque, en fonction du genre théâtrale, théâtre littéraire ou « physical theatre » ... mais aussi en fonction de leurs différentes variétés. Ils se sont distingués par leur style. Les critères distinctifs d’un genre ou d’un style ne peuvent, de fait, s’appliquer à d’autres genres ou bien à d’autres styles. Ainsi se pose d’autant plus la question d’une pierre de touche, le litmus, indépendant des exigences esthétiques de l’époque, du style et du genre de théâtre, qui pourrait mesurer la force et la qualité du jeu de l’acteur, soit, mesurer la pureté de la puissance de la creation de l’acteur.
Il semblerait que conditions du théâtre littéraire soient les plus favorables à la réflexion sur les seuls et uniques indices possibles. Tout simplement parce que dans le « physical theatre », on utilise les mouvements que les abstraits, ou bien représentant des symboles qui pourraient, outre la compréhension à un niveau de sens commun, se concevoir en un sens général, il s’agit de symboles qui agissent tant sur notre conscient que sur notre inconscient. Dans le théâtre littéraire, la langue est un moyen fondamental mais il peut aussi représenter une barrière pour les spectateurs qui ne connaissent pas la langue dans laquelle se joue un spectacle, en fait la langue dans laquelle joue un acteur. Dans une telle situation, un des indices possibles serait une personne qui comprend ou ne comprend pas du tout la langue du spectacle.
Le premier exemple serait celui d’un homme adulte qui ne connaît pas un mot de la langue dans laquelle se joue le spectacle. C’est une situation à laquelle ont été confrontés bien d’entre nous, et si ce n’est pas le cas, au moins, lorsqu’on est allé voir des pièces et des troupes étrangères durant le BITEF (Festival International de Théâtre de Belgrade). Il existe également des témoignages écrits. Ainsi, le metteur en scène américain Christopher Martin, qui ne connaît pas un mot ni de serbe ni d’une autre langue slave (d’où l’impossibilité de reconnaître une quelconque similitude de mots), a-t-il parlé du jeu de Danilo Bata Stojković dans les pièces Balkanski špijun (L’espion des Balkans) et Urnebesna tragedija (La tragédie burelesque) par Dušan Kovačević, joués au Théâtre Zvezdara de Belgrade, donnant des observations claires sur les protagonistes créés par Stojković. Slobodan Beštić évoque également la pièce qu’il a vu jouer dans la ville de Tigru Mures en Hongrie, bien évidemment en hongrois, une langue qui lui est inconnue. « Comme j’étais surpris… il est important que l’acteur soit intelligent, sincère, original et sensible. Sincère en premier lieu, me semble-t-il, car rien ne possède plus de pouvoir que la sincérité. La sincérité apporte une confiance sans réserve, elle surmonte les inhibitions conscientes et instinctives et œuvre sur notre inconscient et notre intuition ». Même si l’acteur se sert, outre la parole, de moyens non verbaux, ils sont des points d’appui importants pour tout comprendre dans son ensemble. Le savoir et l’expérience y jouent un rôle incontestable qui servent de soutien à la compréhension.
Le second exemple serait celui d’un enfant âgé de 2 à 10 ans. Il maîtrise un petit (pour les plus jeunes) ou un plus grand (pour les plus âgés) fonds de vocabulaire, mais il est de toute façon limité. La syntagme et les figures de style posent alors un problème encore plus important. Les connaissances limitées et la faible expérience de l’enfant le font avant tout comprendre au niveau du subconscient, de l’intuitif. Le niveau de la compréhension (outre l’âge et le niveau de développement mental et le caractère individuel de l’enfant) est proportionnel à la qualité du jeu de l’acteur. Je ne suis pas spécialiste de psychologie de l’enfant, c’est pourquoi dans cette affirmation, je me servirai de ma propre expérience. J’ai commencé à regarder des film et des drames télévisés à l’âge de deux ans et n’ai commencé à aller voir des pièces de théâtre que quelques années plus tard. Lorsque j’ai été en position, après de nombreuses années, en tant que théâtrologue, soit en tant que scientifique, de m’occuper de certaines des pièces que je suis allée voir plus jeune, j’ai été surprise de la précision de mes souvenirs. J’ose ériger l’expérience personnelle au rang de général.
Le troisième exemple serait celui de l’attention porté par un chien à un acteur. J’ai regardé le film The man in the Glass Booth (L’homme dans une cage de verre) avec Maximilian Schell dans le rôle principal. Un film américain joué en anglais. Mon chien était allongé et assoupi près de moi. Les quelques mots serbes qu’il a appris n’auraient pas suffit à ce qu’il suive un film en serbe ou même une histoire. Une partie de l’histoire du film The man in the Glass Booth est un jugement où domine un monologue, inhabituellement long pour un film. Une grande partie de ce monologue, et d’autres répliques de Schell sont filmées en gros plan, de telle sorte que l’attention du spectateur est portée sur la parole et les mimiques du visage. Il faut avant tout souligner le fait que Schell commence son monologue en utilisant les moyens les plus réduits, avant tout la voix et les yeux. Au moment où Schell commence le monologue, mon chien a levé la tête et s’est mis a suivre le film avec beaucoup d’attention et de concentration. Il est resté ainsi jusqu’à ce que le film ne se termine. Il est évident que la puissance de l’art de Schell n’a pas agi sur la conscience du chien ; elle a mis en action un mécanisme inconscient. Qu’est-ce que le chien a compris du film, c’est, bien sûr, ce que je n’ai pas pu savoir, mais son dévouement a montré qu’il était fortement impressionné. L’œuvre de l’acteur est devenue importante pour le chien. Ljubiša Bačić émet des suggestions semblables sur les rapports entre les chiens et les acteurs, en fait entre les chiens et le jeu de l’acteur, dans son essai Pas koji je voleo pozorište (Le chien qui aimait le théâtre), dédicacé à Jacky, un chien qui a joué dans la pièce Pseće srce (Le coeur du chien) d’après la nouvelle de Mihail Bulgakov, au théâtre Atelier 212 de Belgrade.
La puissance et la portée du jeu de l’acteur, indépendamment du genre et du style de théâtre, pourraient se mesurer par l’influence de l’œuvre laissée sur un spectateur inconscient, sans prendre en compte le fait que ce spectateur soit un étranger, un enfant ou un chien. Cette succession doit se comprendre avant tout comme une graduation – ce qui rend possible une compréhension rationnelle et une moindre utilisation des moyens auxiliaires, ce qui rend la puissance et la portée de l’acteur plus forts.
Датум последње измене: 2007-08-10 22:24:10